La première séance plénière était dédiée au thème central des 17e Assises des déchets, « L’économie circulaire au service de la souveraineté ». Un panel de spécialistes issu de différents horizons, privés comme publics, ont exposé les solutions en cours de déploiement et les limites rencontrées.
Quels sont les apports de l’économie circulaire à la souveraineté économique de la France ? Ils sont essentiels selon Cédric Bourillet de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) au sein du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. «Après le Covid, nous avons constaté une désorganisation globale dans la logistique mondiale, avec des délais incroyables pour certains approvisionnements. Cela a mis en lumière le fait que réduire notre dépendance à l’import est essentiel. Si nous parvenons à terminer la boucle circulaire sur notre territoire, nous ne sommes pas en situation de dépendance économique, et nous pouvons aussi plus facilement nous faire entendre à l’extérieur. Mais la première souveraineté, c’est la sobriété qui est la mère des combats.»
Un constat partagé par Florian Fizaine, maître de conférences en sciences économiques à l’Université de Savoie Mont-Blanc : «La sobriété et l’efficacité matérielle sont évidemment les premiers leviers à actionner. Par exemple, il faut d’abord réduire la demande en lithium qui sera nécessaire pour notre transition vers le véhicule électrique. Si demain on veut électrifier massivement le parc de moyens de transport, l’offre minière n’est pas capable de suivre. Il faut aussi augmenter la durée de vie des produits et favoriser le recyclage, même s’il est complexe pour ces matériaux.»
Et bien que les métaux rares focalisent l’attention, ils ne sont pas forcément les plus problématiques : l’impact CO2 global le plus important reste celui correspondant à l’utilisation de l’acier, de l’aluminium et du cuivre. « Si on s’intéresse à la composition d’une éolienne, par exemple, les métaux rares ne représentent même pas 1 % du bilan carbone« , révèle Florian Fizaine.»
Favoriser l’innovation et la mutualisation
« La souveraineté, ce n’est pas forcément le repli sur soi, et l’économie circulaire, cela peut être des boucles très larges » , précise Emmanuel Guichard, Délégué général de la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA). «L’image de la France à l’étranger, c’est notamment son savoir-faire en gastronomie et en cosmétique, donc dans notre secteur il est important de faire du made in France. »
Les entreprises de la fédération s’appliquent notamment à innover sur les emballages et de manière mutualisée, même si « travailler collectivement entre des marques concurrentes, cela peut-être compliqué.» En France, il y a une forte attente sur la recyclabilité des emballages et la filière porte donc l’ambition de devenir leader de la cosmétique durable. Dans la stratégie dite des « 4R », les adhérents de la fédération estiment que le plus compliqué à mettre en place est la réutilisation. Il s’agit donc de l’objectif prioritaire, et une nouvelle typologie de recharge est en cours de développement grâce au programme de recherche Pulp in action. « Mais il va nous falloir beaucoup de cellulose, et nous allons être confrontés au problème de la disponibilité de la biomasse : nous n’allons pas raser les monts d’Arrée pour fabriquer nos recharges !»
Vouloir changer et s’en donner les moyens est un bon début. Mais il faut que l’évolution soit tenable sur le long terme, et ce n’est pas toujours évident. « Les modèles économiques doivent tenir la route. Les process sont longs, les investissements lourds, et les retours sur investissement sont difficiles à prévoir. Il faut créer les conditions pour que des entreprises, et notamment les plus grandes, puissent s’engager », souligne Jean-Pierre Denis, président de la Confédération des métiers de l’environnement. « Les évolutions économiques sous-jacentes vont prendre du temps, et nous souhaiterions être mieux associés aux grandes politiques publiques afin de mettre en place ensemble des solutions qui marcheront.»
L’exemple d’une boucle locale en Vendée
Damien Grasset est Président de Trivalis, le syndicat départemental de traitement des déchets de Vendée. Il est intervenu pour mettre en avant l’exemple de son territoire. « Le choix a été fait il y a une vingtaine d’années de gérer les déchets vendéens en Vendée, et nous nous sommes demandé comment diminuer le volume de déchets et mieux le valoriser.»
Un travail a notamment été mené avec l’ensemble des élus des communes adhérentes afin de créer une unité de valorisation des CSR (combustibles solides de récupération) avec une capacité de 20 000 tonnes. L’installation est complétée par une chaudière CSR, et une partie de l’énergie produite est utilisée par un industriel du bois situé à 50km de l’usine de valorisation.
« Mais le premier déchet est celui qu’on ne traite pas, donc il faut l’éviter. Nous avons donc recherché comment faire pour que les déchets qui ne sont pas valorisés puissent l’être tout en créant de la valeur sur le territoire. L’enjeu est de diminuer ce qu’on a dans la poubelle grise pour l’orienter vers des filières de valorisation.»
Pour parvenir à cet objectif, le syndicat a mené plusieurs initiatives : mise en place de la redevance incitative pour 70 % des foyers, distribution de 300 000 composteurs et mise en place de points d’apport volontaires, et enfin la création de la Valoretrie. Dans un bâtiment installé à côté d’une déchetterie, les objets réutilisables sont captés avant qu’ils ne soient mis à la benne. Plus de 140 000 objets ont ainsi été récupérés l’année dernière au lieu d’être enfouis ou incinérés, puis revendus par des salariés en insertion. Environ un million d’euros de chiffre d’affaires a été réalisé, ce qui a permis de rémunérer le prestataire sans coût supplémentaire pour le syndicat.
Faire bouger les lignes pour développer l’économie circulaire
Comme on le voit avec l’exemple de la Vendée, favoriser la valorisation des déchets nécessite d’actionner différents leviers. « Il faut alterner entre le coup de pouce et le coup de pied ! », synthétise Cédric Bourillet de manière imagée : « soit de nouvelles obligations réglementaires amènent des contraintes supplémentaires et un certain déplacement de la valeur, soit il y a un soutien économique et/ou la création d’un environnement administratif plus favorable. Dans cette logique, la loi industrie verte vise à raccourcir les délais de création d’entreprise dans le secteur, mais aussi à assouplir les normes pour favoriser la sortie du statut de déchet partout où cela se justifie, car cela freine le développement de l’économie circulaire.»