Déchets et Convention citoyenne pour le climat : “il est urgent de changer de modèle”

Vita Evenat, 55 ans, assistante de scolarisation en école primaire, est devenue une citoyenne très impliquée dans l’économie circulaire et le recyclage du plastique. Habitante de Saint-Georges de Montaigu (85), elle a en effet été retenue parmi les 150 personnes tirées au sort pour participer à la Convention citoyenne pour le climat et s’est passionnée pour cette mission. Bilan de cette expérience inédite.


Comment s’est organisée cette Convention citoyenne pour le climat ?

Le processus s’est déroulé entre début octobre 2019 et juin 2020. Sept sessions en présentiel étaient organisées, mais nous avons aussi beaucoup travaillé par visio entre ces sessions. Nous avons pu échanger avec de nombreux experts, y compris en dehors du cadre officiel.

Je pense que le travail de la Convention a largement dépassé les attentes initiales, car le rythme et l’organisation prévus n’étaient pas vraiment réalistes et nous avons énormément travaillé entre chaque session. À mon avis, les organisateurs n’attendaient qu’une trentaine de propositions… et nous en avons formulé 150 !


Vous avez participé au groupe de travail “Produire et travailler”. Quelle est l’importance des déchets dans cet axe de la Convention ?

Produire, c’est créer des objets qui vont devenir des déchets. Se poser la question de leur pérennité est donc essentielle, et la problématique des pièces détachées est particulièrement éclairante. Pour ma part, j’ai par exemple arrêté d’acheter des cafetières électriques, car j’ai un vrai don pour casser les bols en verre. Une cafetière neuve coûte 25 €, mais un bol seul coûte 20 €… et en plus il est moche ! La plupart des consommateurs aura donc la même réaction : acheter une nouvelle cafetière, et jeter l’ancienne qui deviendra un déchet alors qu’elle aurait encore pu servir de longues années. Pour lutter contre ces aberrations, il faut engager les producteurs avec des contraintes législatives.

La question des déchets dans la production englobe aussi les enjeux de surproduction, de gaspillage de matière (des bourses d’échanges commencent d’ailleurs à apparaître afin que les entreprises puissent partager leurs résidus) et d’éco-conception.

La problématique des déchets est centrale dans la crise écologique, et il est urgent de changer de modèle. Nous sommes aujourd’hui dans la dernière ligne droite : selon moi, soit on survit, soit on disparaît. Il n’y a pas de troisième voie.


L’une des propositions de la Convention est de rendre obligatoire le recyclage de tous les objets en plastique ainsi que de supprimer tous les plastiques à usage unique dès 2023. Le problème des déchets plastiques doit-il être prioritaire ?

Oui, clairement. Une bouteille plastique met entre 100 et 1000 ans pour se transformer en microparticules et… polluer encore ! La vente de bouteilles d’eau en plastique est interdite dans de plus en plus de villes, comme San Francisco par exemple qui a proscrit la vente des bouteilles plastique dans les espaces municipaux en 2014 et récemment dans son aéroport.

À court terme, la seule solution viable est le recyclage méthodique et méticuleux. Il faut un tri sélectif véritablement efficace, et pour cela que des moyens importants soient alloués. Nous proposons par exemple que 90 % de la TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes) soient reversés aux professionnels du tri et du recyclage, au lieu de 20 à 30 % aujourd’hui.

Par ailleurs, des alternatives commencent à émerger. L’entreprise brestoise Polymaris produit ainsi un bioplastique à partir d’organismes marins. Loin de l’industrie chimique, le process nécessite des outils similaires à ceux utilisés pour produire de la levure boulangère. À l’air libre ou dans l’eau, ce bioplastique se dissout en six mois environ.


La Convention a également proposé que les revenus de la TGAP soient mobilisés pour développer la collecte de déchets organiques et de produire du biométhane. Pourquoi ?

Nous sous-estimons l’enjeu de la production de méthane à partir de déchets organiques, et ce potentiel n’est pas assez exploité en France. Au Danemark, en Norvège, en Belgique ou encore en Suisse, la collecte d’ordures ménagères est déjà utilisée pour produire du méthane.

Mais, plus globalement, il faut aller plus loin dans l’effort de tri : dans ces pays, il y a jusqu’à 7 poubelles par maison. Nous proposons notamment de revoir la Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) afin de favoriser des comportements écoresponsables.


Plusieurs propositions visent à sensibiliser les jeunes générations, par exemple avec la visite de sites de traitement des déchets. Quel est l’enjeu ?

En France, il y a eu par exemple une énorme évolution sur l’alcool au volant en quelques dizaines d’années. Par ailleurs, j’ai beaucoup voyagé et je trouve que les rues françaises sont très propres, y compris à Paris. Ces deux exemples prouvent que si tout le monde se met dans une voie, qu’on enseigne les bons gestes dès l’école, cela fait ensuite partie de notre culture, notre éducation, notre savoir-être.

Je pense qu’il faut transmettre aux nouvelles générations l’idée que notre Terre est fragile et précieuse, et qu’en prendre soin est essentiel pour notre survie à tous.


À titre personnel, cette expérience a-t-elle modifié votre regard sur les déchets et l’économie circulaire ?

Évidemment. J’étais consciente depuis longtemps des enjeux des déchets et je faisais consciencieusement le tri sélectif, mais entre avoir une notion du problème et le comprendre il y a un monde ! Je trouve qu’il existe vraiment un mur entre les citoyens et les experts.

Désormais, je suis beaucoup plus engagée et mobilisée sur la question. Si je vois un déchet dans la rue, par exemple, je m’arrête pour le ramasser. J’en parle beaucoup avec mon entourage, j’essaye de sensibiliser les professionnels à l’impact de leurs pratiques et je collabore avec différentes associations, notamment en participant à des événements.

Je pense que beaucoup de Français sont dans la situation qui était la mienne avant de participer à la Convention citoyenne pour le climat. J’essaye donc de transmettre au maximum tout ce que j’ai appris avec cette expérience, car il faut comprendre les enjeux pour déclencher une vraie prise de conscience et un changement de comportement au quotidien.

À voir aussi :

Toutes les propositions concernant les déchets dans les conclusions de la Convention citoyenne pour le climat :

LIMITER LE SUREMBALLAGE ET L’UTILISATION DU PLASTIQUE À USAGE UNIQUE EN DÉVELOPPANT LE VRAC ET LES CONSIGNES DANS LES LIEUX DE DISTRIBUTION   

  • Mettre en place progressivement une obligation de l’implantation du vrac dans tous les magasins et l’imposition d’un pourcentage aux centrales d’achat
  • Mise en place progressive d’un système de consigne de verre (lavable et réutilisable) jusqu’à une mise en place généralisée en 2025
  • Favoriser le développement les emballages biosourcés compostables pour assurer la transition avant la fin de l’emballage plastique à usage unique
  • Remplacer une part significative de la Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères (TEOM) par des modalités plus justes et favorisant les comportements écoresponsables

MODIFIER LE CODE DE L’ÉDUCATION POUR UNE GÉNÉRALISATION DE L’ÉDUCATION À L’ENVIRONNEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE (EEDD) DANS LE MODÈLE SCOLAIRE FRANÇAIS

  • Mise en place de la collecte et du tri des déchets numériques dans les établissements scolaires et collectivités ;
  • Organiser des excursions locales : faire visiter aux élèves des endroits tels que des exploitations agricoles, des zones humides, des champs, des services d’appui en cas de catastrophe, des installations de traitement des eaux ou de recyclage des déchets.

FAVORISER UNE PRODUCTION PLUS RESPONSABLE, DÉVELOPPER LES FILIÈRES DE RÉPARATION, DE RECYCLAGE ET DE GESTION DES DÉCHETS

  • Conception : Augmenter la longévité des produits et réduire la pollution
  • Faire respecter la loi sur l’interdiction de l’obsolescence programmée
  • Rendre obligatoire la possibilité de réparation des produits manufacturés qui sont vendus en France, la disponibilité des pièces détachées d’origine pendant une durée définie. Mettre en place et à proximité des filières et ateliers de réparation, et rendre accessibles les services après-vente
  • Rendre obligatoire le recyclage de tous les objets en plastique dès 2023, supprimer tous les plastiques à usage unique dès 2023 et développer le recyclage des autres matières
  • Durcir et appliquer la réglementation sur la gestion des déchets

AJOUTER UN BILAN CARBONE DANS LE BILAN COMPTABLE DE TOUTES LES STRUCTURES QUI DOIVENT PRODUIRE UN BILAN

  • Ajouter au BEGES les obligations de reporting sur la production des déchets (dont emballage). Les entreprises d’une certaine taille (que le gouvernement devra préciser) devraient remettre tous les 5 ans un plan de prévention de leurs déchets et de leur écoconception (individuel ou sectoriel), au moyen de méthodes harmonisées afin que le plan fourni puisse être comparé au précédent, et également à ceux des autres entreprises.

PROTECTION DES ÉCOSYSTÈMES ET DE LA BIODIVERSITÉ

Traitement des déchets et des produits toxiques

Concernant les programmes de traitements de déchets enfouis, déjà en place, une nouvelle étude d’impact sur l’environnement naturel sera réalisée et leur exhumation sera obligatoire s’ils représentent un danger.
Tout projet de traitement des déchets (par exemple les métaux lourds, métaux rares, métaux critiques, produits polluants et toxiques) devra avoir fait l’objet en amont d’une évaluation de son impact sur l’environnement (sols, sous-sols, écosystèmes et biodiversité). Ceci afin de contraindre les acteurs concernés à remédier à tout impact environnemental négatif.
Les différentes directives sur les déchets doivent être renforcées par des mécanismes de contrôle et de sanction (administrative et pénale), notamment concernant le transfert clandestin de déchets aux frontières. À ce titre, il faudra augmenter le nombre de postes de police environnementale au sein de l’OFB (Office Français de la Biodiversité) d’ici 2022.

Préservation marine

À partir de 2022, rendre obligatoire le nettoyage des déchets et des produits nocifs dans les mers et océans en zone française avec une obligation de recyclage (avec des véhicules non polluants). Il s’agira également d’équiper les zones portuaires de systèmes de rétention afin de préserver la biodiversité marine comme le plancton et de développer son exploitation (absorbeur de CO2).

PRODUCTION, STOCKAGE ET REDISTRIBUTION D’ÉNERGIE POUR ET PAR TOUS

  • Optimiser la méthanisation par le biais des entreprises locales et des particuliers en récoltant leurs déchets organiques. La méthanisation des déchets permet la production de gaz. Des structures seront mises en place pour réinjecter ce gaz dans le réseau. Le gaz peut-être également stocké et a donc une grande utilité pour être mobilisé quand les autres sources d’EnR sont peu disponibles (exemple le soir quand il n’y a pas de vent). L’instance de coordination veille au respect de toutes les normes de sécurité et environnementales établies.
  • Utiliser l’argent de la taxe sur les décharges (la TGAP) pour financer la collecte sélective des déchets organiques ;

POURSUIVRE LES EFFORTS SUR LA RÉDUCTION DU GASPILLAGE ALIMENTAIRE EN RESTAURATION COLLECTIVE ET AU NIVEAU INDIVIDUEL

  • Réduire le tonnage à partir duquel le tri sélectif et le recyclage sont obligatoires de 10 à 5 tonnes par an : depuis le 1er janvier 2016, les restaurateurs qui produisent au moins 10 tonnes de biodéchets par an – soit environ 200 à 240 couverts par jour – ont l’obligation de procéder à leur tri sélectif et à leur recyclage.