La récente loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ne convainc pas tous les acteurs, à commencer par les ONG environnementalistes. Yvan Bourgnon, président de l’association The SeaCleaners, évoque “une démarche fondatrice” mais pointe les insuffisances du texte. Entretien. [Lire aussi l’interview de Stéphanie Kerbarh, rapporteure du projet de loi]
La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire est entrée en vigueur récemment. Que pensez-vous du texte final sur le fond ?
J’ai tendance à juger les situations a posteriori, sur les effets qu’elles produisent plutôt que sur les déclarations d’intention. Et je fais partie de ceux qui trouvent qu’on ne va jamais assez loin, ni assez vite !
Je salue l’ambition affichée de la loi, qui vise une transformation en profondeur de notre système. Ce texte a le mérite de faire entrer dans le débat public des enjeux majeurs sur lesquels nous, acteurs associatifs et de la société civile, nous battons depuis des années : sortir du plastique jetable, mieux informer le consommateur, lutter contre le gaspillage, promouvoir le réemploi solidaire, agir contre l’obsolescence programmée, mieux produire… Ne serait-ce que pour cela, cette loi est une démarche fondatrice.
Mais globalement, ce texte me laisse l’impression d’un rendez-vous manqué. J’aurais aimé que les pouvoirs publics soient beaucoup plus volontaristes sur au moins 3 points très concrets : la date d’interdiction du plastique à usage unique, la planification d’une montée en puissance beaucoup plus importante et rapide de l’économie circulaire, la prise en compte du volet international. C’est ce dernier point qui m’interroge le plus : mettre en place un cadre législatif et réglementaire strict dans le cadre hexagonal, c’est très bien, c’est nécessaire. Mais les véritables enjeux se situent en-dehors de nos frontières et j’aimerais que les décideurs, quelles que soient les instances intergouvernementales où ils officient, G7, G20, ONU, Union européenne, OMC, etc., en prennent la pleine mesure.
La “mort” du plastique à usage unique a été programmée à l’horizon 2040. Estimez-vous qu’il aurait fallu un objectif plus ambitieux ? La recherche en matière de substitution des produits est-elle suffisamment avancée ?
Le report de l’interdiction du plastique à usage unique à 2040 a été un vrai coup de massue. Quel immobilisme ! Comment parler sérieusement de « signal très fort et concret envoyé à nos partenaires européens et au reste du monde », en prônant la mise en place d’une mesure de manière tellement progressive ? Comment encourager les consommateurs à modifier leurs habitudes et les industriels à repenser leurs modes de production en laissant entendre qu’en matière de transition écologique, on n’est pas à vingt ans près ? Et qu’une génération entière peut encore continuer à grandir en produisant des déchets plastiques, dont seuls 40% sont recyclés ou incinérés, le reste étant enfoui dans les décharges ou dispersé dans la nature ?
Le fait que le gouvernement n’ait pas mis davantage de pression sur les processus de production industriels a aussi été une déception. L’industrie du plastique n’aurait pas pu mettre en œuvre une politique « zéro plastique » en trois ans. Mais une application à l’horizon 2030 était tout à fait envisageable. Les domaines de l’écoconception et de la science des matériaux sont suffisamment avancés pour que, dans moins de dix ans, les industriels puissent être en ordre de bataille. Les solutions alternatives aux plastiques existent, les produits de substitution ont été testés, les circuits d’approvisionnement et les processus de fabrication sont connus, les impacts environnementaux de ces remplacements ont fait l’objet d’études approfondies. Il existe une longue liste de « plastiques », ou plutôt de matériaux polymères, qui ont des fonctions et des durées de vie différentes. Ce qui est certain, c’est que n’importe quel déchet peut devenir une ressource (à l’infini pour certains) à condition qu’ils soient choisis pour le bon usage et se retrouvent dans le bon cycle de collecte puis de recyclage. C’est un maillon fondamental de l’économie circulaire. Le calendrier pouvait donc être resserré, le système n’étant pas si impréparé au « zéro plastique jetable » que cela a été dit.
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a créé une mission d’information sur la pollution plastique, dont les rapporteurs sont le député Philippe Bolo et la sénatrice Angèle Préville. Leur rapport est attendu pour octobre prochain. J’espère qu’il aura de l’ambition dans ses préconisations. Nous en attendons beaucoup.
Ces dernières années ont vu naître une prise de conscience généralisée de la pollution des mers. Comment aller plus loin qu’une simple sensibilisation pour parvenir à mobiliser et faire agir les citoyens ?
La pollution plastique est un phénomène tout à la fois social, économique, industriel et politique. Ce qui est décourageant, comme souvent dans les combats environnementaux, c’est cette impression que tout le monde se défausse en permanence pour éviter de prendre ses responsabilités. Les politiques disent qu’il faut avant tout changer les comportements individuels. Les industriels disent que c’est au politique d’instaurer des normes et de les accompagner dans la transition vers l’économie circulaire. Les citoyens, face à l’ampleur du problème, pensent que ce n’est pas à leur échelle individuelle qu’ils peuvent faire une différence, puisqu’on parle de 9 millions de tonnes de déchets plastiques déversées chaque année dans l’océan, soit 250 kilos par seconde ! Ils se disent que les véritables leviers d’action se situent au niveau des politiques publiques et des logiques industrielles. S’ils vivent loin de la mer, c’est encore plus frappant : difficile de concevoir qu’un emballage de barre chocolatée jeté dans le caniveau à 500 kilomètres de la mer alimente la pollution océanique !
Chez The SeaCleaners, nous pensons que seule une action coordonnée, et les efforts conjoints de toutes les bonnes volontés, sur tous les fronts, permettront de répondre durablement à l’enjeu majeur de la pollution plastique. En cela, le volet correctif est tout aussi important que le préventif.
Notre credo numéro 1, c’est que pour mobiliser les citoyens, il faut leur donner des moyens concrets d’agir, proposer des solutions concrètes, pragmatiques, opérationnelles. C’est tout le concept de « l’enpowerment » très en vogue actuellement. Faire sa part du boulot, apporter sa pierre à l’édifice, sans écouter ceux qui disent « ça ne sert à rien ». C’est la philosophie de The SeaCleaners et de notre projet-phare, Le Manta, un navire géant conçu pour dépolluer les mers, propulsé par des énergies renouvelables, qui sera à la fois un bateau de collecte des déchets plastiques, un outil pédagogique, un laboratoire scientifique et un levier pour la promotion de l’économie circulaire. Nettoyer les mers, restaurer la santé des océans, ramasser les déchets plastiques… certains diront que c’est vain. Nous nous disons : c’est en faisant qu’on donne envie de faire plus !
Tous les efforts à terre pour prévenir et éliminer la pollution plastique des océans sont nécessaires, et The SeaCleaners y participe activement par ses opérations de pédagogie, de sensibilisation et d’éducation, pour couper le robinet du plastique à la source. Mais le combat en amont seul est très lent, en raison de l’inertie du système. C’est cette lenteur qui peut aussi contribuer à la démobilisation générale. En attendant que les combats à terre portent leurs fruits, nous nous battrons pied à pied, en mer, en nettoyant maintenant ce qui peut être nettoyé.
La collecte en mer crée aussi un cercle vertueux : elle permet de donner des résultats concrets, rapides, visibles, qui participent à leur tour à éveiller les consciences, à mobiliser les pouvoirs publics, les entreprises, les communautés, les individus et à faire bouger les lignes.
Le retour de la consigne a suscité de nombreuses controverses. À votre avis, s’agit-il d’une solution efficace ?
Pour répondre à la question de l’efficacité, il faut se poser la question des objectifs. Or, l’objectif est clair : diviser par deux les déchets mis en décharge et recycler 100 % des plastiques sur tout le territoire d’ici 2025.
2025, c’est demain ! Et pour l’instant, la France est sensiblement à la traîne par rapport à ses voisins qui pratiquent eux, la consigne. Sur les bouteilles en plastique, la France affiche un taux de recyclage à 56% quand l’Allemagne ou la Norvège atteignent 90%. L’exemple de la Suède montre aussi que la consigne permet effectivement d’augmenter la récupération des bouteilles en fin de vie. Je crois aux solutions empiriques : si ça a fait ses preuves ailleurs, il n’y a pas de raison de ne pas le faire chez nous !
J’entends la position des recycleurs, c’est-à-dire les acteurs récupérant et triant les matières pour permettre leur incorporation dans des produits neufs, et celle des municipalités qui organisent sur le terrain la collecte sélective. Si les bouteilles disparaissent du gisement de déchets qu’ils exploitent, cela diminuera la rentabilité de leur activité et ils craignent que cela désorganise les habitudes de tri des consommateurs.
Ces inquiétudes sont légitimes mais, si on se place du point de vue de l’intérêt général, elles ne suffisent pas à disqualifier la consigne, d’autant que des compensations sont possibles. On peut toujours se demander si la consigne est plus efficace que d’autres formes d’incitation financière. Peut-être pas. J’ai lu des analyses très intéressantes sur la tarification incitative de la gestion des déchets municipaux ; c’est-à-dire un système de facturation de la collecte des déchets non triés au poids ou au volume, le conteneur des déchets triés restant gratuit.
Mais de manière générale, je trouve incroyable que, dès qu’une mesure un peu novatrice (ou en l’occurrence une vieille recette rudement efficace qui revient au goût du jour) est adoptée, on trouve aussitôt des moyens de la contourner et des systèmes de moratoire ! Cette attitude immobiliste est vraiment dommageable. Les Allemands aussi étaient frileux lorsque le système de consigne a été instauré. Mais aujourd’hui ils sont 82 % à plébisciter ce système.
L’introduction progressive de la consigne et le principe d’expérimentations sont des concessions qui ressemblent un peu trop à un renoncement. Les collectivités locales disposent d’un délai, jusqu’en 2023, pour améliorer leur taux de collecte des bouteilles plastiques afin d’atteindre un objectif de 77% en 2025 et 90% en 2029. Mais ce délai ne doit pas servir de prétexte pour ne rien faire, et remettre à plus tard les réformes structurelles indispensables, en se disant qu’on pourra toujours demander un nouveau report en 2025 !
A contrario, il ne faut pas que la mise en place de la consigne serve de prétexte pour sauver le plastique à usage unique. La consigne doit s’inscrire dans l’objectif plus large d’une réduction drastique des emballages jetables.
La pollution plastique se joue majoritairement dans les économies émergentes (Asie du Sud-Est, Afrique, Amérique du Sud). Quelles sont selon vous les actions que la France et l’Europe pourraient mener pour former et aider ces pays à enrayer les rejets de plastiques dans les océans ?
Vous avez raison. Je regrette que les pouvoirs publics ne se penchent pas davantage sur la question. 80% de la pollution plastique océanique provient d’Asie du Sud-Est, d’Afrique et d’Amérique du Sud. Les modélisations et les études scientifiques sont même suffisamment avancées pour dire que la Chine, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam, à eux seuls, rejettent chaque année plus de quatre millions de tonnes de plastique dans les mers du monde, soit près de la moitié du total des rejets.
C’est là qu’il faut concentrer nos efforts. Ce sont des pays où beaucoup reste à faire, en matière de législation, de systèmes de collecte et de recyclage, de politiques de prévention. On a vu récemment des initiatives spectaculaires, comme l’annonce du gouvernement chinois de vouloir interdire avant la fin de l’année tous les plastiques à usage unique dans les grandes villes du pays ! Nous verrons dans les faits comment ces annonces tonitruantes se traduisent.
Mais je reste convaincu que la communauté internationale doit accompagner urgemment la transition écologique dans ces pays. Ce devrait être une priorité absolue. Ne pas vouloir traiter le sujet, c’est un terrible aveu d’impuissance. Aujourd’hui, ce sont essentiellement les ONG et les initiatives privées qui s’engagent dans ces pays.
La France aurait été exemplaire et pionnière en ciblant son aide au développement sur ces sujets, et en incorporant ce volet dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. J’aimerais aussi que notre réseau diplomatique et consulaire, qui est très puissant, en fasse un axe fort de la diplomatie économique française. Nous avons des technologies à faire valoir.
L’Europe pourrait également orienter sa politique de coopération internationale vers cet enjeu. Il est impératif que cela figure noir sur blanc dans le nouveau « Green Deal » européen. On le sait peu mais l’Union européenne œuvre à l’échelle mondiale et est le plus important contributeur en matière d’aide au développement au monde. Si cette aide était majoritairement fléchée vers la transition énergétique, les économies décarbonées, le développement durable, cela ferait sans doute une différence. Aider à préserver l’environnement, à travers des réformes structurelles, c’est aussi une manière de répondre aux urgences en matière de justice sociale et de respect des droits.
Outre les aspects de prévention et de législation, il est enfin important de restaurer les écosystèmes dans ces pays, dont l’économie repose en partie sur le tourisme. Or la présence de plastiques fait perdre de la valeur. La majorité des déchets plastiques stagnent dans les eaux territoriales, près des zones côtières, puisqu’ils sont acheminés à 80% par les fleuves. Il y a donc un enjeu fort de manque à gagner dans les zones touristiques. Avec le confinement lié à la pandémie de COVID-19, on a vu dans ces pays une chute du tourisme de masse qui s’est traduit immédiatement et significativement en une réduction de la pollution visible de plastiques échoués sur les plages. Je plaide pour que l’Union européenne s’empare du sujet de la collecte des macrodéchets et soutienne les initiatives innovantes qui visent à collecter les macrodéchets avant qu’ils se dégradent et soient irrécupérables.
En savoir plus : Le skipper Yvan Bourgnon toutes voiles dehors contre la pollution des mers The SeaCleaners : Yvan Bourgnon à l’abordage de la pollution marine Le site de l’association The SeaCleaners À lire aussi : Loi économie circulaire : “un texte équilibré, ambitieux et de très grande qualité” |