France Nature Environnement est la fédération française des associations de protection de la nature et de l’environnement. Porte-parole d’un mouvement de 3 500 associations, regroupées au sein de 71 organisations adhérentes, présentes sur tout le territoire français, en métropole et outre-mer, FNE milite pour que « L’économie circulaire soit confortée… mais comme une étape transitoire ! » Réflexions croisées de Michel Dubromel et Patrick Hervier sur la 15e édition des Assises des Déchets.
Depuis plusieurs années, France Nature Environnement est invitée par le Réseau des DREAL et les partenaires des Assises des déchets à se joindre au comité de pilotage chargé de préparer chacun des événements. Pour notre Fédération, qui met en avant le slogan « ne faisons pas de nos ressources des déchets », c’est un exercice délicat que celui de contribuer à des travaux où les déchets, y compris dans une approche circulaire, sont au cœur du modèle des participants.
Mais si notre Fédération a largement contribué au fait que l’économie circulaire ne doit pas se concevoir comme limitée au seul pilier « Gestion des déchets » avec le recyclage, force est de constater que sur ce champ des marges de progrès existent. Et donc que le regard exigeant des associations environnementales, comme celui des associations de consommateurs, a toute sa place dans les débats.
Quel rôle, quelles responsabilités des différents acteurs ?
Si la question de l’amélioration de la « circularité des flux matières » est au cœur de ces débats, l’autre enjeu, davantage présent dans cette édition 2019, est celui du rôle et des responsabilités des différents acteurs pour améliorer les performances de ces boucles.
Pour nous, il est pertinent de rappeler que la boucle du recyclage commence, à la fois avec un geste de tri, mais aussi avec la priorité donnée à l’écoconception. On peut considérer que nous sommes en présence d’une double responsabilité, celle du citoyen et celle du metteur sur le marché.
La responsabilité du citoyen dans l’amélioration du geste de tri sera abordée dans l’Atelier 2 « Du comportement à l’engagement citoyen ». Cet atelier devrait également rappeler que l’on peut aussi trier ses achats, que l’on soit « simple citoyen », mais aussi « acheteur public ou professionnel », en ayant par exemple recours à un service ou en effectuant une acquisition pour lesquels seront produits moins de déchets. Choisir ses achats c’est aussi pouvoir valoriser les efforts d’éco conception les plus pertinents.
C’est l’Atelier 5 « Concevoir autrement pour réduire les impacts » qui présentera les réflexions des « metteurs sur le marché » et notamment comment ils comptent, pour ne plus revoir quelques incohérences passées, rendre moins opaque leur responsabilité. Nous attendons que le recours à de nouvelles ressources s’effectue en portant une attention aux impacts de ces prélèvements sur les milieux et que ces nouvelles formulations soient en cohérence avec les capacités techniques des « recycleurs ». Cette cohérence technique ne doit pas s’affranchir d’une analyse de la pertinence économique des modèles car, au final, c’est sur le citoyen/consommateur que repose l’économie des dispositifs mis en place. Pour FNE, les metteurs sur le marché devraient également se montrer attentifs aux effets induits de leurs innovations, par exemple « ne pas faire que les bioplastiques perpétuent notre dépendance aux plastiques » mais au contraire, répondent aux attentes exprimées sur le retour de la consigne pour le réemploi d’emballages.
Quelle gouvernance ?
Quelle place est faite et sera faite aux représentants de la société civile dans les instances destinées à réguler les différentes étapes de l’économie circulaire ? C’est une des questions auxquelles l’Atelier 8 « REP à tous les étages » devrait proposer des réponses. C’est en effet au travers des dispositifs REP que se définissent les objectifs et la répartition des responsabilités. Objectifs qui pour l’ensemble des REP, ne peuvent plus, pour FNE, se focaliser principalement sur le recyclage. Des dispositifs REP se réclamant de l’économie circulaire devraient soutenir davantage les activités sur l’ensemble de la boucle « des objets ». Il s’agit pour nous, certes de consolider une économie du recyclage matière, mais, et enfin !, de développer et donc soutenir également une économie du prolongement de la durée de vie des produits et de leurs pièces détachées. Autrement dit il faudrait, à l’exemple du recyclage, soutenir le réemploi/réutilisation et la réparation et donc aussi, une éco conception, moins exclusivement tournée vers le recyclage, mais permettant le développement des activités prolongeant la durée de vie des objets.
L’économie circulaire doit questionner les modèles
Si l’utilisation de la représentation sous forme d’économie plus circulaire rend, d’une part plus visible la complémentarité et l’équilibre nécessaire entre « économie du recyclage » et « l’économie de la durée de vie » des objets, et d’autre part l’interrelation entre les acteurs et donc la responsabilité de chacun d’eux pour une amélioration de la « circularité » des flux, produits, et matières, elle questionne également les modèles des différents acteurs :
- celui des acteurs économiques qui devraient, selon nous, proposer des services pas seulement pour recycler de la matière, mais pour minimiser la consommation de celle-ci ;
- celui des institutions avec par exemple l’interrogation sur le partage de la gouvernance dans les dispositifs mis en place ;
- celui des « services déchets » qui pourraient davantage se rapprocher de leurs collègues des autres services, notamment des services économiques, pour contribuer au développement à l’échelle locale d’une « économie du prolongement de la durée de vie des produits ».
France Nature Environnement, la force d’une expertise multi-thématiques
En résonance avec les questionnements multiples qu’implique l’économie circulaire, France Nature Environnement a une analyse transversale, qu’elle partage au sein de multiples instances de concertation comme avec les acteurs économiques : la réinjection dans les circuits de production de résines issues du recyclage nécessite une attention à la maîtrise des risques pour la santé, mais aussi de la confiance dans la maîtrise de ces risques.
Pour veiller à un recours mesuré aux « bioplastiques » nous nous appuyons sur les recommandations des spécialistes en agriculture. La nécessité d’aménager et de construire avec moins d’impacts environnementaux nous rapproche de nos collègues de « villes et territoires ». En relation avec ceux en charge de la thématique « énergie » nous suivons avec attention l’émergence de la filière CSR, pour que cela ne cautionne pas une redéfinition des objectifs de recyclage et qu’en contrepartie de la création de chaudières performantes, soient fermées des installations d’incinération obsolètes.
Nous attirons régulièrement l’attention des spécialistes du juridique sur l’irruption du numérique dans les activités « déchets ». Ce qui rend plus prégnante mais complexe l’exigence de traçabilité. Et, bien sûr, on ne peut prétendre s’intéresser aux déclarations relevant de l’économie circulaire sans se rapprocher des intervenants de la thématique « transport et mobilité » susceptibles d’apporter des arguments pour privilégier des approches plus territoriales.
Et si on mettait fin à la “course aux nouveaux projets de stockage” ?
L’approche « économie circulaire » tendrait aussi à faire oublier certaines installations, qui bien que modernisées, « sonnent moins glamour ». Notre participation via le représentant d’une de nos Fédérations, FNE PACA, à l’Atelier 9 « Ne plus stocker, un vrai défi ! » ; stockage qualifié par un « doux euphémisme » de traitements ultimes, a pour ambition de faire entendre les interrogations de plusieurs de nos fédérations. Presque partout en France elles observent une course à la prise en compte de nouveaux projets de stockage, dont des extensions de capacités, des augmentations de durée d’exploitation, ceci dans les travaux de planification… Alors les porteurs de ces projets sont-ils les mêmes que ceux qui réclament des soutiens pour développer une économie du recyclage ? Seront-ils, inventifs, forces de propositions pour « tordre le cou » au dicton ancien, mais apparemment toujours d’actualité : « qui tient la décharge, tient le service des déchets » ? Comment faire pour qu’en l’absence, encore pour quelque temps, d’atteinte du « zéro déchet », la décharge perde sa valeur stratégique ?
Du temps pour nous comprendre
On le voit, il y a matière à débattre, et cela dans un cadre plus ouvert. En effet, nous soulignons les initiatives du Président des Assises d’avoir fait davantage de place aux représentants des consommateurs, dont nous saluons la présence comme intervenants dans plusieurs Ateliers.
Les Assises 2019, à travers les choix thématiques et des intervenants, offrent un cadre pour deux jours de dialogue. À FNE nous disons : chiche, faisons « circuler la parole ». Mais attention, pas trop vite ! Comme pour l’économie circulaire dont nous souhaitons qu’elle ne s’emballe pas, donc qu’elle prenne en compte une part de frugalité, prenons, dans les échanges, du temps, pour nous comprendre.
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