Politique déchets : état des lieux – Bruno GENTY

Analyse de Mr Bruno Genty, président de la fédération France Nature Environnement (FNE) et intervenant à la séance plénière n °1 consacrée au Plan déchets 2009-2013.

 

La prévention des déchets s’impose a priori au premier rang de la hiérarchie de la politique des déchets. En tant qu’acteur, mais aussi comme observateur avisé de ce secteur, comment analysez-vous le niveau de prise en compte de cette priorité ?

A l’issue du Grenelle de l’environnement, la prévention des déchets a bénéficié d’une plus grande visibilité et de soutiens financiers et méthodologiques lui permettant de réellement émerger comme politique publique dans de nombreux territoires.

La visibilité résultait d’une volonté politique partagée par un ensemble d’acteurs combinée à la mise en perspective d’un objectif négocié et clairement affiché, celui de réduire de 7% le volume de déchets (ce qui correspondait à environ 25kg/hab./an). Les soutiens financiers provenaient très logiquement de l’augmentation de la TGAP (plus on incinérait de déchets, et/ou plus on en déposait en décharge et plus on payait). Les sommes issues de ce volet de la TGAP étant affectées aux politiques de prévention des déchets. L’ADEME a été très réactive en fixant un cadre méthodologique et en apportant un accompagnement de formation pour la mise en partage des meilleures initiatives.

De nombreuses collectivités territoriales se sont mobilisées pour intégrer un axe prévention déchets en complément de leurs efforts de valorisation et de traitement des déchets. Pour certaines ce fut parfois un effet d’aubaine. Celles-ci se sont engagées sans toujours mettre en œuvre des moyens complémentaires à ceux apportés via l’ADEME. Pour la grande majorité des collectivités, l’intérêt environnemental et très rapidement les intérêts sociaux de cette politique ont été appréciés. Maintenant, pour les collectivités pionnières, c’est l’intérêt économique qui est recherché (activités de proximité : réemploi, réparation, économie des services via la mise en partage d’équipement, emballages navettes…).

En conclusion on peut dire que la prévention des déchets – je préférerais que l’on parle d’évitement des déchets- est une réalité dans les territoires où elle a commencé à se faire une très bonne place jusqu’à favoriser des maillages avec d’autres politiques publiques.

 

Quels sont selon vous les principaux freins à desserrer, et/ou les principaux leviers à actionner, pour aller plus vite et plus loin en la matière ?

Je pense à 4 axes d’intervention nécessaires :

1. J’ai parlé de soutiens financiers et méthodologiques aux territoires. Il faut poursuivre en amplifiant le transfert vertueux amorcé par la TGAP (arrêter les exonérations, notamment celles qui sont une prime à l’immobilisme).

2. Mais il faut maintenant fixer un nouveau cap, de nouvelles ambitions et cela dans une approche par filière de produits. Cela veut dire un nouvel objectif global de réduction des quantités de déchets. Ce cap doit être étayé par :

  • des objectifs d’évitement sur des produits ou des familles de produits. Autrement dit, assumons sur quels produits nous souhaitons intervenir pour éviter, limiter et retarder l’apparition des déchets qui en sont issus (allongement de la durée de vie, substitution d’une acquisition par des services, réemploi).
  • des objectifs d’évitement articulés avec ceux fixés pour le recyclage des matériaux présents dans les déchets. Les objectifs d’évitement et les objectifs de valorisation sont complémentaires (produire moins de déchets, puis mieux recycler ceux produits). Sinon on peut comprendre qu’un gestionnaire du tri cherche à faire du chiffre ! Pourquoi éviter la production de déchets si c’est seulement ma quantité de matériaux récupérés sur mon territoire qui est prise en compte pour évaluer mes performances ?

3. Cette articulation prévention/recyclage m’amène à un point central des enjeux. 1992 a vu la naissance du 1er dispositif REP. Cela a contribué à faire émerger une économie du recyclage. Cette économie est à consolider et c’est très logiquement un des chantiers pris en compte dans le thème sur l’économie circulaire qui est à l’ordre du jour de la prochaine Conférence environnementale. Concernant la prévention, volet prioritaire en termes de hiérarchie réglementaire et d’attente de la population, il reste à construire une économie du prolongement de la durée de vie des produits. Cela veut dire identifier les acteurs et activités qui y contribuent et, comme pour le recyclage, avec l’objectif de développer ces activités, disposer du soutien d’un dispositif financier associé à la mise sur le marché de l’ensemble des produits. Seul un dispositif associé à la mise sur le marché des produits a la capacité de faire bouger sérieusement les acteurs économiques, notamment en encourageant les efforts faits par ceux qui innovent.

4. Enfin la séquence amorcée en 2009 a, comme je l’ai dit, vu une forte mobilisation des collectivités qui, pour les programmes locaux de prévention, se sont principalement adressées à leurs populations. Il faudrait rendre visible et développer la prévention des déchets d’entreprises et des activités des services publics. Regardons les proportions respectives de la production de déchets par grands secteurs … il faut passer à la vitesse supérieure. Encore une foison ne part pas de rien parce que des collectivités pionnières ont su mobiliser leurs services et des entreprises. Mais quid de l’engagement par secteurs d’activités par branches professionnelles ? Ce serait une reconnaissance des initiatives prises par certains et un défi à relever pour les autres.

Ce que je viens d’évoquer fait partie des attentes des professionnels de la prévention au travail dans les collectivités. Un exemple : après l’élaboration dans les territoires d’annuaires des réparateurs, de mise à disposition des citoyens de « bons de réduction » pour faire réparer, quels sont les engagements des fabricants / metteurs sur le marché pour que les produits soient plus robustes, évolutifs, réparables ?

C’est à cela que le prochain Plan National de Prévention des Déchets doit apporter des réponses.

 

En matière de mobilisation du grand public, et notamment en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire, quelles actions – existantes ou à créer – préconisez-vous ?

Lutter contre le gaspillage alimentaire est un chantier indispensable. Nous avons largement, entant que fédération environnementale, contribué à le faire inscrire à l’agenda politique et c’est tout à l’honneur du ministre Guillaume Garrot d’avoir su réunir nombre d’acteurs et d’obtenir des premiers engagements. Évidemment, qui dit « engagements » dit « mesures en devenir » et c’est pour accompagner ces engagements et en faire émerger de nouveaux que FNE accompagne cette dynamique.

La formulation de votre question entraîne une réflexion. Vous avez raison de souligner la nécessité d’une mobilisation « du grand public ». Nous sommes avec le gaspillage alimentaire, comme pour la prévention des déchets en général, à l’articulation de nos modes de production/consommation. Les activités et les acteurs dans les deux champs doivent faire évoluer leurs pratiques. Oui il faut, en tant que consommateur, changer notre regard sur le calibrage des produits, être attentifs aux quantités achetées et«savoir cuisiner les restes », pour reprendre quelques « petites attentions » que chacun d’entre nous pourrait avoir. Mais en tant qu’association environnementale, nous avons souligné et continuerons à le faire,que le gaspillage alimentaire se situe « à tous les étages ». Il nous faut donc mettre en débat, dans le respect de tous les acteurs, certains modes de production / distribution. Il nous faut identifier des dispositifs de production et de distribution qui, dans leur organisation, conduisent l’ensemble des acteurs à moins gaspiller. Et que, par exemple, se développent dans les territoires des « passerelles » qui relient producteurs locaux et consommateurs. Concrètement, on peut évoquer la restauration collective dans les collèges et les maisons de retraite. Oui il faut sensibiliser le grand public afin de montrer que les enjeux sont importants, d’un point de vue environnemental, mais aussi économique et social. Oui, il faut un accompagnement dans l’évolution des comportements (ex. partage de savoir-faire). Mais il faut que des alternatives permettent de consommer autrement. Il faut que ces alternatives existent, soient visibles et accessibles au plus grand nombre. C’est un enjeu social fort. C’est pour cela qu’il faut que les acteurs économiques soient plus actifs dans l’émergence de ces alternatives. Et donc que les pouvoirs publics aient l’ambition de mettre en place des leviers, dans le but d’accélérer l’émergence de ces alternatives.

 

Site internet du FNE : www.fne.asso.fr