Séance plénière : entre crises et prises de conscience, la transition circulaire s’accélère

Au travers des interventions des représentants des principaux groupes de parties prenantes, ministère, Medef, collectivités, entreprises de l’environnement, il apparaît qu’une économie plus respectueuse de l’environnement et des ressources s’organise et semble même s’accélérer. Tous sont engagés pour agir plus fort et durablement.

Les intervenants

Cédric BOURILLET

Cédric BOURILLET, directeur général de la prévention des risques, Ministère de la Transition écologique (MTECT)

Eric DELHAYE

Eric DELHAYE, président du syndicat pour la valorisation et le tri des déchets dans l’Aisne – VALOR’AISNE et maire de Laon

Philippe JOGUET

Philippe JOGUET, directeur développement durable & RSE à la Fédération du Commerce et de la distribution (FCD)

Anne LE GUENNEC

Anne LE GUENNEC, présidente de la Confédération des métiers de l’environnement, CME, et directrice générale, VEOLIA RVD France

Les crises récentes ont été comme un déclic

Selon la Secrétaire d’Etat à l’écologie, l’enjeu environnemental est très concret. Les enjeux révélés pendant la crise covid tels l’accessibilité à un certain nombre de matières, la souveraineté et l’économie circulaire sont majeurs. Cette analyse est renforcée par l’idée que l’on peut s’attendre à des bénéfices éventuellement induits avec un potentiel en termes de pouvoir d’achats, des gains pour les entreprises et pour les acteurs des territoires. Selon le ministère « Il est nécessaire que la population puisse accéder aux informations, entendre les enjeux, puissent voir où ils peuvent être force de changement et levier. L’école a un rôle à jouer ». Mais c’est aussi vrai tout au long de la vie, pour les chefs d’entreprises et pas seulement au titre d’employeurs, comme « pour les élus qui portent une énorme force de communication ».

Pour les industriels et pas seulement en ce qui concerne les métiers de l’environnement, toute la société prend conscience de l’urgence de la nécessité d’agir et a envie de s’impliquer. « On ne parle plus de déchets, on parle de ressources, de biens de consommation, de carbone, d’énergie et cela doit fédérer un éco-système qui se mobilise au service de la lutte contre le changement climatique ». Celle-ci doit être menée par deux actions parallèles : un vrai changement d’état d’esprit, de façon de consommer, de regarder nos déchets et donc nos ressources et une demande d’action des industriels pour qu’ils s’engagent et proposent des solutions. Ces deux mondes doivent avancer ensemble avec des méthodes qui relèvent d’une action citoyenne d’une part et d’une action industrielle d’autre part. l’Economie Circulaire, puisqu’il s’agit de cela, « c’est aussi un moyen de regarder les choses de façon holistique et pas seulement sur une partie de la chaîne de valeur, un moyen de s’adapter ». A titre d’exemple, la nécessité de développer les solutions CSR au niveau local montre que nous nous adaptons. Le déchet devient « ressource » et doit répondre à un besoin spécifique du territoire, en ce sens « on trace vraiment une trajectoire de décroissance de l’enfouissement et on entre dans un modèle plus résilient ». « S’il faut avant tout valoriser le recyclage, le réemploi, lorsque cela n’est pas possible, on peut encore valoriser en énergie ». Il faut parfois un grand changement réglementaire, une impulsion, des crises, pour changer les modèles et la crise actuelle permet d’accélérer vers cette transition. Cela est créateur d’emploi et va aussi plus loin dans la décarbonation des territoires. Le biogaz et sa transformation en biométhane est ainsi et également une substitution intéressante et abordable dans ce contexte de résilience.

Pour le Medef, « L’économie circulaire est vraiment un mode incontournable de l’évolution de l’économie : on est en train de passer d’un mode de production et de consommation linéaire vers un mode plus circulaire ». « C’est un enjeu très fort et une mobilisation générale pour tous les secteurs industriels de la première transformation à la distribution ». La lutte contre le changement climatique est devenue « la mère des batailles ». Elle est parfaitement comprise par les industriels, la distribution et les metteurs sur le marché et sous tous ses aspects : préservation de l’énergie, de la matière, de la biodiversité et économies locales et de territoires. Les lois AGEC 2020 et Climat 2021 ont lancé une dynamique avec des réformes majeures. « Il est maintenant important de prioriser nos actions ». Car « si on prend l’exemple de la réparation, un produit réparé est un produit non jeté mais c’est aussi un produit neuf que l’on ne vend pas. C’est la même chose pour le réemploi. Il nous faut donc trouver des modèles économiques nouveaux ». Les entreprises ont déjà commencé à s’y préparer en développant des produits éco-conçus, des nouveaux services de réparation, de réemploi, ou encore la distribution en vrac. « Comme toutes les ruptures, même si à terme cela entraînera des économies, dans un premier temps, cela entraîne des coûts ». « Des coûts de mise en conformité, de changement des process de fabrication, des nouveaux sourcings, des coûts de l’éco-conception, des nouveaux services, de la formation ». Pour l’ensemble de ces coûts, il faut insister sur la progressivité nécessaire à leur mise en œuvre, sur l’importance des aides publiques mobilisées et, à ce titre, le Plan de Relance dans le cadre de la crise et à plus long terme de France 2030, sont un effort considérable de l’Etat. « C’est aujourd’hui plus de 1 600 dossiers qui ont été financés à travers ces plans pour un montant total de 500 millions d’euros d’aides publiques mobilisées par l’Etat et de plus d’1,7 milliard par les entreprises ».

Pour le représentant d’une collectivité locale, en ce qui concerne l’énergie, et dans le contexte actuel, il y a des opportunités de partenariats public/privé. « Les collectivités travaillent par exemple sur des projets de réseaux de chaleur à partir de fibres de bois produits en local, sur des chaudières CSR à partir des encombrants, des bois de classe B et des déchets d’activités économiques produits dans la région qui permettront de diminuer la facture énergétique pour les usagers, les consommateurs et les collectivités ». « Alors que les factures énergétiques explosent et que les collectivités sont obligées de répercuter les coûts sur les citoyens, il y a une réelle opportunité à développer les filières CSR et les réseaux de chaleur tels que ceux alimentés par biomasse, qui ont énormément de mal à voir le jour en France ». Il faut être proactif, innovant et trouver des opportunités et de nouvelles solutions notamment dans la création d’éco-systèmes territoriaux. Les échanges et le partage entre tous les acteurs sont très importants pour répondre à ces grands enjeux.

Le risque et les constats de versatilité des cours de la matière recyclée

Un des risques, lié à la transition écologique, vient de la cyclicité des cours des matières premières. Ce phénomène n’est pas nouveau, l’amplitude de ces à-coups, la fréquence des cycles et surtout l’extrême incertitude des cours à moyens et longs termes, privent l’ensemble des acteurs économiques de la capacité à prévoir. « La crise Covid, il y a un an a ainsi fait baisser les cours des matières premières et des matières premières régénérées, privant les entreprises et les collectivités locales d’une partie des recettes qu’elles tirent de leurs reventes ». Plusieurs mécanismes restent à consolider.

Si la matière première recyclée était historiquement beaucoup plus chère que la matière première vierge et incitait peu à la réincorporation, les industriels ont anticipé, avec la loi AGEC, l’incorporation de matière première recyclée. La demande en matière première recyclée est aujourd’hui très forte. Elle permet d’envisager les investissements qui supporteront le développement de la filière tel que les capacités de production ou de transformation dans la filière plastique. Ces investissements ne peuvent être soutenus que s’il y a une forme de stabilité dans le modèle économique. Selon les métiers de l’environnement, nous aurions passé un cap car « aujourd’hui des industriels (metteurs sur le marché) prennent des engagements très forts sur la composition de leur modèle, de leur packaging, de leur production pour réincorporer de la matière première recyclée ». « Il reste bien sûr la fluctuation des marchés ». « On voit aujourd’hui sur les matières plastiques une forme de décorrélation entre le prix du plastique vierge et le prix du plastique recyclé. Le modèle est en train de s’établir. Sur d’autres matières c’est un peu plus compliqué mais les fédérations ont proposé il y a environ deux ans des mécanismes qui permettraient aux collectivités et aux industries de continuer à porter leurs investissements malgré des fluctuations de marchés qui sont généralement liées à des facteurs géopolitiques que l’on ne maîtrise pas ». Il faut maintenant regarder les choses de manière complète, de manière holistique et ainsi tenir compte de l’empreinte carbone et du risque qui pèse sur les importations (transport et approvisionnements).

« Le déchet, après l’énergie et l’eau doit passer d’une logique de volume à une logique de performance, à une logique de qualité de fourniture de matériaux industriels ».

Accélérer via de nouvelles REP

Les principales évolutions apportées par la loi AGEC (2020), portent entre autres sur la création de nouvelles filières REP (responsabilité élargit des producteurs et metteurs sur le marché, en ce qui concerne leurs produits, de leur création, mise sur le marché jusqu’à leur fin de vie). Certaines REP (12) sont déjà en place, d’autres vont voir le jour bientôt comme la filière BTP en janvier 2023. Des dispositions sont organisées via chaque REP pour la réparation, le réemploi, sans oublier la nécessité de l’écoconception et pour des catégories de produits différenciés. L’impact économique de ces filières REP est très important. En 2022, le ministère considère qu’environ 2 milliards d’euros d’éco-contribution seront versés par les entreprises concernées à des éco-organismes qui ensuite se chargeront d’aider et financer des collectivités ou des acteurs privés pour la mise en œuvre des différentes dispositions de collecte facilitée ou de prévention.

La REP n’est cependant pas un phénomène nouveau. En 1992, le premier dispositif REP concernait les emballages avec la création de l’éco-organisme « Eco-Emballages » devenu « CITEO ».

La loi a renforcé les exigences, a créé de nouvelles REP. Pour les nouveaux industriels concernés, la création des nouvelles REP échéancées jusqu’à 2025, va accroître les coûts de façon considérable. « On était sur une douzaine de REP à 1,5 milliard et on va passer à 20 filières avec près de 8 milliards d’euros ». C’est un investissement considérable pour les entreprises.

Note AND : En ce sens c’est aussi un nouveau modèle économique qui intègre désormais le véritable coût (écologique) induit par la mise sur le marché des produits.

Pour un représentant de collectivité, la mise en œuvre des filières REP n’est pas simple et les déchetteries n’ont par exemple, pas toutes mis en place les dispositions pour les REP déjà existantes. Ainsi « dans le département de l’Aisne, 25 000 tonnes de déchets pourraient être détournés de nos bacs en raison d’erreurs de tri et du fait que les filières de valorisation existantes n’ont pas encore été mises en place dans les déchetterie ». « Il faut rationaliser, réorganiser, harmoniser les déchetteries pour pouvoir mettre en place toutes les filières existantes et à venir sur le territoire. La complexité vient également du fait que toutes les collectivités ne travaillent pas de la même façon : pas avec les mêmes règles, pas dans les mêmes conditions, n’appliquent pas les mêmes tarifs. Cela crée des disparités ». L’enjeu demeure. Il est important.

Pour les entreprises de l’environnement, la REP c’est aussi l’extension des consignes de tri. Les opérateurs du déchet ont dans ce cadre beaucoup innové et investi (on estime à environ 1,2 milliard par an l’investissement de la profession pour de nouvelles filières) pour permettre à leurs centres de tri d’être beaucoup plus performants (trier des produits mélangés, des résines de plastiques…) ou pour une gestion simplifiée des déchets.

Attention cependant, s’adapter aux REP n’est pas la seule préoccupation des collectivités, n’oublions pas les biodéchets pour lesquels les collectivités doivent proposer des solutions sur tout le territoire à la fin de l’année 2023 et autant que possible de manière concertée et cohérente au sein des territoires. « 220 kg d’ordures ménagères par habitant jetées dans la poubelle grise chaque année, environ 90 kg sont des déchets compostables organiques dont 20 à 30 kg de gaspillage alimentaires ». L’appel à projet « Concerto » de l’ADEME est un bel exemple de recherche d’intelligence collective. Dispositif dédié « à tous les acteurs afin de partager un diagnostic, évaluer le gisement, partager des réflexions et des pistes de travail à mettre en place, peut permettre d’éviter des concurrences entre filières, des concurrences entre territoires, sur l’approvisionnement en matière organique, de mettre en place des actions de sensibilisation sur la lutte contre le gaspillage alimentaire, de développer et renforcer des solutions de compostage de proximité qu’il soit individuel ou collectif ou bien de trouver des liens avec des agriculteurs, des industriels, pour gérer et peut être méthaniser ensemble des déchets organiques ». La méthanisation agricole reçoit beaucoup plus d’acceptabilité que des projets plus importants incluant des déchets urbains, néanmoins les consommateurs ne voient pas leurs factures diminuer, ils n’en voient pas le bénéfice. La sensibilisation du public est donc un véritable sujet.

Accélérer par la planification écologique

Pour le ministère, la planification écologique vise à démultiplier un travail partenarial déjà engagé, donner plus de visibilité aux acteurs en précisant un cap, une méthode, des indicateurs, des actions, « en réunissant tous les acteurs autour de la table pour, ensemble, dessiner le futur ».

Pour les industriels « la feuille de route on y croit », « la concertation on l’appelle de tous nos vœux », et nous sommes ravis des dispositifs qui se mettent en place, des soutiens (fond de chaleur de l’ADEME), des appels à projet, de la démarche France 2030.  Au-delà de la concertation, ces dispositions permettent d’avoir de vrais leviers pour la création de nouvelles filières. Nous avons aujourd’hui des décisions rapides à prendre pour accélérer. « On appelle à de la lisibilité car investir nécessite un retour sur investissement et on a besoin des engagements des collectivités à nos côtés, des industriels repreneurs de matières premières, des acheteurs des énergies décarbonées et souvent locales, que l’on produit ». Nous y voyons « un véritable levier de réindustrialisation de la France, de nouvelles économies, de nouveaux modèles, de nouvelles usines, de nouvelles compétences et nouveaux emplois ».