Atelier 7 : la souveraineté, c’est aussi les déchets

Participer à l’atelier 7 sur les enjeux de souveraineté autour de la gestion des déchets, c’est mieux comprendre les nouvelles dispositions en place, porter attention aux évolutions réglementaires et morales, échanger ou apporter des éclairages comme des suggestions pour une lutte qu’il faut rendre toujours plus efficace et autant que possible en avance sur les schémas et filières changeantes imaginées par les trafiquants. Premiers éléments de réponse avec Cédric Bourillet, Directeur général de la prévention des risques, Ministère de la Transition écologique.

À l’instar de la Chine et de la Malaisie, un certain nombre d’États souhaitent désormais réguler les arrivées de déchets. La Commission européenne a établi un nouveau règlement plus contraignant en matière d’exportation de déchets au titre de matières dites valorisables. Pouvez-vous nous expliquer son fonctionnement ?

Le Règlement Européen sur les Transferts de Déchets (RTD) adopté en 2006, détaille à la fois les règles concernant les transferts transfrontaliers de déchets entre les États membres de l’Union européenne (UE) ainsi qu’entre les États membres de l’UE et les pays tiers. Il couvre ainsi les mouvements transfrontières de déchets dangereux et non dangereux, pour lesquels s’appliquent des procédures de contrôle à différents niveaux.

Le RTD contient par ailleurs des dispositions visant à lutter contre les exportations de déchets inappropriées, au regard des capacités d’accueil du destinataire, ou illicites et non contrôlées, par exemple vers des pays qui ne disposent pas d’installations de traitement garantissant une bonne gestion environnementale. L’objet est d’éviter que ces exportations aient des effets néfastes sur l’environnement et la santé publique dans les pays de destination. Les cas de transferts problématiques ne manquent pas, que ce soient par exemple des exports de déchets électroniques vers l’Afrique de l’Ouest ou de déchets plastiques en Asie du Sud-Est.

Depuis 2006, le RTD a connu plusieurs modifications pour tenir compte des retours d’expérience dans sa mise en œuvre. Les plus récentes ont été apportées en 2014 en vue d’introduire l’obligation d’établir des plans d’inspection par les États membres et en 2020 pour renforcer les conditions des transferts de déchets plastiques. Cette dernière évolution vise notamment à restreindre l’export de ces déchets plastiques vers des pays qui ne sont pas en mesure de les recycler de manière effective et ainsi éviter qu’ils ne viennent polluer l’environnement, les fleuves, la mer… et qu’ils induisent un impact néfaste sur la qualité de vie ou la santé des populations locales.

Une nouvelle révision est en cours et s’inscrit dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe dont l’objectif est de s’assurer que la politique européenne favorise avant tout le recyclage des déchets au sein de l’Union européenne et, de manière plus générale, qu’elle consolide la transition vers une économie circulaire.

Cette nouvelle révision du RTD devrait se traduire par un projet de proposition législative dans les prochains mois. La France souhaite être ambitieuse dans ses objectifs et son efficacité, sans alourdir les obligations administratives au détriment du temps qui devrait d’abord être consacré au contrôle.

En France, quelle est la masse et la nature des déchets aujourd’hui exportés (pays asiatiques, africains, Inde) de manière licite ?

En 2018, la France a exporté 14,6 millions de tonnes de déchets selon les déclarations douanières. Principalement vers les pays européens voisins (Belgique, Espagne, Allemagne). Néanmoins 3 millions de tonnes, soit 21 % des exportations totales, sont exportées vers des pays non européens. Il s’agit exclusivement des déchets non dangereux comme les métaux, les papiers / cartons ou le plastique.

Au sein de ces exportations, les exportations de déchets plus sensibles, qui nécessitent une autorisation formelle de l’ensemble des pays concernés par le transfert, ont représenté 2,2 millions de tonnes, soit 15 % des exportations totales. Au regard de la sensibilité de ces déchets et des contraintes administratives associées, les exportations vers des pays hors Europe sont très rares. On recense ainsi environ 100 000 tonnes de déchets de pneus transférés pour valorisation vers des cimenteries au Maroc.


La France envisage-t-elle de transformer ses façons de faire en matière de déchets, durcir sa réglementation, amplifier l’industrie du recyclage sur ses territoires ?

La France a adopté en 2020 une politique très ambitieuse en matière de déchets grâce à la loi relative à lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Cette loi et les nombreux textes d’application qui l’accompagnent consacrent de grandes avancées dans la lutte contre toutes les formes de gaspillage et dans la gestion de nos déchets. Il s’agit ainsi de renforcer l’information des consommateurs, de mobiliser les industriels pour transformer les modes de production, d’améliorer la collecte et le tri des déchets et de lutter contre les dépôts sauvages. Cette loi réforme également le principe de la responsabilité élargie du producteur (REP), tout en créant de nouvelles filières, notamment une filière à responsabilité élargie des producteurs dans le secteur du bâtiment, producteur important de déchets non dangereux non inertes.

Pour accompagner cette transition vers une économie plus circulaire, consolider et développer l’industrie du recyclage sur notre territoire, ce sont plus de 500 M€ qui sont dédiés à l’économie circulaire dans le plan de relance en 2021-2022. Elle vise à encourager le développement du réemploi, la substitution du plastique à usage unique, la collecte, le tri et le recyclage des déchets, ou encore l’incorporation de matière plastique recyclée dans les produits.

À ce titre, le développement des capacités industrielles de production et de réincorporation des matières plastiques recyclées bénéficie d’un soutien particulièrement important avec 140 M€ de soutiens publics dédiés exclusivement au développement de capacités de recyclage des plastiques. Des projets industriels de recyclage des métaux stratégiques ou de composites sont également soutenus.

C’est également à travers un soutien fort à l’innovation dans ce secteur qu’il sera possible d’amplifier l’industrie du recyclage sur ses territoires. C’est l’objectif de la stratégie d’accélération « Recyclabilité, recyclage et réincorporation des matériaux » qui prévoit de soutenir les projets de recyclage innovants de 5 matériaux : les plastiques, les textiles, les papiers/cartons, les métaux stratégiques et les composites.

À travers le soutien apporté à la recherche et à l’innovation, cette stratégie d’accélération permettra d’identifier de nouvelles voies de recyclage et de nouveaux débouchés pour les matériaux issus du recyclage et de disposer en avance de phase des technologies innovantes, indispensables à tout déploiement industriel pérenne.

La France a par ailleurs modifié sa politique fiscale en 2019, afin de créer un dispositif incitatif par lequel l’élimination (mise en décharge ou incinération) est rendue plus coûteuse dans l’intention de rendre par économie d’échelle le tri et le recyclage moins coûteux.

Un certain nombre de déchets sont encore exportés de manière illicite. Quels sont ces déchets ? Où vont-ils ? Où devraient-ils aller à l’avenir ?

La France s’est dotée depuis 2017 d’un plan d’inspection des transferts de déchets destiné à couvrir l’ensemble de son territoire. Il répond à la nécessité de planifier correctement les contrôles afin de lutter efficacement contre les transferts illicites. Il fait intervenir en synergie les différents acteurs concernés (douanes, gendarmerie, police, justice, ministère de la transition écologique). Ainsi, s’appuyant sur une évaluation des risques, ce plan détermine notamment les objectifs et les priorités des inspections et des contrôles.

Les trois principaux exemples de transferts illicites

Déchets plastiques

Interpol a mis en évidence le lien entre les réseaux criminels et quelques entreprises de gestion des déchets qui servent de couverture à des opérations illégales. Les malfaiteurs ont en effet souvent recours à la criminalité financière et à la contrefaçon de documents pour mener à bien leurs activités et cela partout dans le monde.

Les difficultés en matière de traitement et de suivi des excédents de déchets plastiques ont ainsi ouvert la voie à une criminalité opportuniste dans ce secteur, active aussi bien dans le commerce ou le transfert illicite que dans le traitement (quand il existe) illégal des déchets. Ces activités s’adaptent. On constate ainsi une très forte augmentation des déchets plastiques envoyés en Malaisie, principalement depuis l’Europe et l’Amérique du Nord, depuis qu’en 2018, la Chine a fermé ses portes aux importations afin de protéger son propre environnement de la pollution par le plastique.

Les pays comme les instances internationales concernés tentent également de s’adapter. Ainsi, depuis mai 2020, les autorités malaisiennes ont entrepris de retourner près de 4 000 tonnes de déchets plastiques à 13 pays. C’est un premier signal de la détermination de ce pays à lutter contre le trafic dans ce domaine. Dans ce contexte, la Convention de Bâle a été récemment modifiée afin que les pays qui ne sont pas en mesure de traiter les déchets plastiques puissent plus facilement refuser l’import de ces déchets sur leur territoire.

Déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE)

Les transferts illicites sur les DEEE représentent environ 20 % des flux suivis par le ministère ces dernières années. Dans la plupart des cas, il s’agissait de transferts vers des pays tiers, sous couvert d’équipements électriques et électroniques (EEE) d’occasion (via notamment le port d’Anvers).

Chaque année, les équipes du ministère traitent ainsi entre 30 et 40 affaires de transferts illicites de DEEE, dont la très grande majorité est orientée vers des pays non européens. La plupart de ces affaires ont été repérées grâce à la coordination mise en place par le ministère de l’Environnement avec les services des Douanes et les services d’inspection de nos voisins européens.

Par ailleurs, la filière à Responsabilité élargie du producteur (REP) mise en place en France ainsi qu’une vigilance particulière des forces de contrôles sur le respect du cadre et réglementaire relatifs aux D3E placent notre pays parmi les États membres les plus engagés dans la lutte contre ces transferts, notamment au niveau des ports.

Véhicules hors d’usage (VHU)

Les transferts illicites recensés par la France en 2018 et 2019 montrent des flux de transferts illicites de VHU et/ou de pièces issues de VHU (y compris les pneumatiques usagés) vers l’Afrique, l’Inde et Madagascar. En moyenne ces dernières années, les VHU représentaient 20 % des transferts illicites suivis par le ministère.

Concernant les pneumatiques usagés, un important travail en lien avec les professionnels du recyclage de ces déchets a permis de cadrer réglementairement le transfert de pneumatiques usagés ayant fait l’objet d’une préparation en vue de leur réutilisation.

L’objectif est de définir notamment les modalités techniques permettant de remettre sur le marché certains pneumatiques usagés collectés.