Discours de Brune Poirson
Secrétaire d’Etat auprès d’Élisabeth Borne,
ministre de la Transition écologique et solidaire
15e Assises des déchets
Intervention du jeudi 3 octobre
Nous sommes deux ans après le discours de lancement de la concertation sur la feuille de route de l’économie circulaire (septembre 2017). À l’époque, j’ai émis un souhait : celui que l’économie circulaire devienne un sujet de conversation dans tous les repas de famille. C’est le cœur de la transformation économique et culturelle nécessaire pour une société compatible avec les limites de la planète. Aujourd’hui le sujet est installé dans le débat public sur la transition écologique. Installé à l’agenda parlementaire. Au cœur de l’acte II du quinquennat.
Il est vrai que le mot « économie circulaire » n’est pas encore tout à fait familier pour beaucoup de nos concitoyens… Mais quand on leur demande les actions pour lesquelles ils veulent faire plus pour l’écologie : le tri/recyclage arrive en priorité, avant la réparation puis la fin du plastique à usage unique. Ces attentes, nous les avions déjà appréhendées lors du Grand débat.
Un changement d’approche
Les Français veulent du pouvoir de faire. Ils demandent de faire plus et qu’on leur donne les moyens. L’économie circulaire, le tri, la consommation durable, la lutte contre le gaspillage : ce sont des gestes du quotidien réalisables, avec des résultats concrets rapides.
Ils exigent, en somme, que chacun, citoyens, élus, entreprises agissent au maximum de leurs facultés pour enclencher de nouveaux modes de production et de consommation.
Cela suppose un véritable changement d’approche dans la façon de gérer nos déchets pour en faire des ressources, mais surtout dans la façon de concevoir nos produits. C’est ce basculement vers l’amont qui est la nouvelle frontière.
En pratique, cela doit se traduire par la suppression des emballages inutiles, le développement du réemploi, de la réparation pour que la durée de vie des produits redevienne un critère de qualité, et qu’au bout du bout, tous les matériaux soient au moins recyclés. C’est ça l’économie circulaire.
C’est avec beaucoup d’humilité que je suis devant vous. Parce que je sais que ce combat contre le gaspillage et pour l’économie circulaire a commencé il y a longtemps. Je sais que mes prédécesseurs, de tous les bords politiques, ont déployé des efforts considérables depuis près de 30 ans. Que des élus, des entrepreneurs, des associations se sont engagés depuis de nombreuses années sur ces sujets et que sur le terrain vous œuvrez tous les jours pour gérer les déchets sur les territoires.
Je m’inscris dans la continuité de cet héritage et veux rendre hommage à tous ceux (beaucoup d’entre vous en font partie) qui ont participé à cette grande aventure : celle de la responsabilité élargie des producteurs inscrite dans le droit français dès 1975, celle du « bac jaune », de l’éducation aux gestes de tri, des centres de collecte et de recyclage et des initiatives innovantes qui servent chaque jour l’intérêt général et le bien vivre sur nos territoires.
Aller plus loin
Beaucoup de choses ont été faites. Désormais nous devons aller encore plus loin.
Pourquoi ? Parce que la donne a changé, les Français nous demandent de faire plus et plus vite. Ils veulent de nous l’excellence, la tolérance zéro vis-à-vis du gaspillage (après les Gilets Jaunes…). Ils veulent mieux trier mais ils veulent aussi que les obligations de tri des entreprises — comme les fast foods — soient respectées. Ils ne tolèrent plus que leurs fruits et légumes soient emballés dans un emballage lui-même dans une poupée russe d’emballages, car c’est absurde. Ils ne comprennent pas que leur machine à laver tombe en panne plus vite qu’autrefois et qu’il n’y ait plus de réparateurs capables d’intervenir. Ils ne comprennent pas que nous n’arrivons pas à diminuer drastiquement les volumes de déchets enfouis, dans des décharges d’ailleurs toujours plus saturées. Et ils ne supportent plus que les paysages, les forêts, les plages, soient souillés de déchets sauvages.
L’Europe nous demande également de faire plus et nous indique un cap très clair, nous l’avons vu pour la fin de certains plastiques à usage unique.
Donc, en raison de l’urgence environnementale, de la pression citoyenne et de la pression des consommateurs, nous devons changer. Nous devons pousser notre dispositif vers l’excellence et anticiper avant que le système soit bouleversé de force, qu’il subisse les évolutions des modes de collectes (en particulier la collecte diffuse), de la logistique et des emballages. Cela peut faire peur. Mais l’ambition est de franchir une nouvelle étape, se donner un cadre pour basculer de la gestion des déchets à l’économie circulaire, passer de l’aval à l’amont : éco-conception, prévention des déchets, réemploi.
C’est donc une haute marche que nous devons prendre. Nous ne pourrons la prendre que collectivement.
Les enjeux, vous les connaissez, ils sont de taille, mais ça fait du bien de les rappeler pour garder le cap et le sens des transformations que nous enclenchons.
L’accélération de la transition vers l’économie circulaire répond à la fois à des enjeux environnementaux, à des enjeux de développement économique et d’emploi, à des enjeux sociaux, et à des enjeux de souveraineté pour la France.
Le chemin parcouru depuis septembre 2017, la méthode de concertation
Vous y avez tous participé mais certains semblent être pris d’amnésie donc je le rappelle. Je voudrais revenir un instant sur le chemin parcouru depuis septembre 2017 avec vous, avec tous les acteurs de l’économie circulaire : deux consultations en ligne du public, la présentation des 50 mesures de la FREC par le Premier ministre, des comités de pilotages, une centaine de réunions avec des élus, des chefs d’entreprises, des associations. Il y a eu aussi le Grand débat qui a fait remonter des attentes très fortes sur la gestion des déchets, des groupes de travail qui nourrissent des mesures législatives (dépôts sauvages, déchets du bâtiment, indice de réparabilité, rapport sur compétences et nouveaux emplois…).
Et puis quelques mots sur les points saillants de la mise en œuvre de la FREC :
- Réforme fiscale (que j’avais esquissée, ici à Nantes en 2017) qui a été votée dans la loi de finances 2019 pour mettre les signaux économiques au bon niveau à savoir que l’élimination coûte plus cher que le recyclage, ce qui est un préalable au décollage de l’économie circulaire.
- La signature d’un pacte national sur les emballages plastiques avec des ONG (WWF, Tara Expedition, Fondation Ellen McArthur) et les entreprises les plus engagées (Unilever, Carrefour, Auchan, Casino, Système U) pour atteindre collectivement 60 % d’emballages plastiques effectivement recyclés d’ici 2022 et éco-concevoir les emballages pour les rendre réutilisables, recyclables ou compostables à 100 % d’ici 2025.
- Des engagements volontaires en juillet 2018 de plusieurs secteurs industriels de doubler la quantité de plastique recyclé dans leurs produits (prochaine vague d’engagements attendue cet automne 2019 avec un objectif de triplement). Cette stratégie commence à porter ses fruits : la croissance de la production de matière plastique recyclée en France a augmenté de 12 % en 2018.
- Un appel à projets CITEO/ADEME doté d’une enveloppe de 6 millions d’euros, pour le déploiement de dispositifs de collecte innovants et solidaires des emballages.
Les quatre axes de la loi
Ce projet de loi anti gaspillage pour une économie circulaire développe quatre grands axes :
-
- Donner au citoyen l’information qui lui est nécessaire pour agir en conscience. Pour lui donner plus de pouvoir pour consommer des produits de meilleure qualité et plus durable.
- Donner au citoyen les informations pour adopter le bon geste de tri en harmonisant au plus vite la couleur des poubelles comme nous le demandent massivement les Français et en leur donnant une information claire sur le geste de tri.
- Refonder le pacte des filières REP pour faire remonter la responsabilité de l’aval vers l’amont et entrer dans une nouvelle ère de la gestion des déchets. Cela passe par :
- La transformation de la gouvernance des filières pollueurs-payeurs, pour mettre plus de transparence et de contrôle dans leur fonctionnement.
- L’élargissement de leurs missions notamment pour intégrer des objectifs chiffrés de réemploi, de réutilisation, et de réparation quand cela est nécessaire.
- Les bonus/malus sur les éco-contributions pour créer une incitation forte à l’éco-conception, pour lutter contre le suremballage ou encore l’obsolescence programmée
- La création de nouvelles filières à responsabilité élargie des producteurs sur les jouets, les mégots (deux milliards de mégots se retrouvent chaque année dans les rues de Paris et personne ne se rend compte qu’il s’agit de plastique imbibé de substances toxiques qui polluent les réseaux d’eau), les articles de sport et de loisir (un million de vélos sont jetés chaque année alors qu’ils pourraient être réparés et réutilisés), les articles de jardinage mais aussi les lingettes, véritable fléau pour les stations d’épuration, va créer des incitations pour mieux concevoir ces produits et va permettre de considérablement alléger le poids de vos poubelles et faciliter la vie des collectivités.Au total ce sont plus de 500 millions d’euros redirigés vers les collectivités de nouvelles indemnisations qui vont arriver. Je le répète pour que ce soit bien entendu par tous : 500 millions d’euros. Et je ne compte pas les dizaines de millions d’euros d’économie liés à l’accord que j’ai obtenu entre le secteur du bâtiment et les collectivités sur la question de la résorption des décharges sauvages grâce à la création d’une filière pollueur-payeur.
- Dernier axe du projet de loi : la lutte contre le gaspillage. L’article 5 prévoit l’interdiction de l’élimination des invendus non alimentaire. C’est une première mondiale. La France est pionnière. Chaque année près d’un milliard d’euros d’invendus non alimentaires sont détruits alors qu’ils pourraient être donnés, réutilisés ou recyclés.
L’ensemble de ces actions représentent un potentiel de 300 000 nouveaux emplois sur les territoires. Emplois locaux, non délocalisables.
Les enrichissements du texte après passage au Sénat
Je citerais à cet égard plusieurs des avancées que, de notre point de vue, vous avez apportées à ce projet de loi et sur lesquelles avec mes services nous avions travaillé :
- des objectifs de réductions des emballages à 2030 et 2040
- l’adoption, au premier article du texte, de l’objectif fixé par le Président de la République de 100 % plastique recyclé d’ici 2025.
- des dispositions contre la publicité incitant au rebus ;
- des précisions sur les modalités d’étiquetage ;
- des mesures pour lutter contre le gaspillage alimentaire ;
- le renforcement des pouvoirs de police des élus locaux et le régime des sanctions applicables aux éco-organismes ;
- un fonds pour la réparation ;
- la traçabilité des exports de déchets.
Le débat sur la consigne
Comme vous pouvez le voir, ce n’est pas un scoop, le projet de loi ne se résume pas à la consigne…
La consigne. Autant vous le dire, en l’espace de 3 jours au Sénat, la période y étant sans doute propice, j’ai entendu tous les arguments les plus abracadabrantesques pour la dénoncer et je crois qu’il est indispensable de redonner au débat des bases objectives à cette mesure populaire :
- Oui, chaque année, malgré les efforts sans relâche et les performances remarquables de certaines collectivités, ce sont — je le répète — a minima 200 millions de bouteilles d’eau et uniquement de bouteilles d’eau — je ne compte pas les canettes — qui se retrouvent dans la nature en France.
- Oui, près de 7 milliards de bouteilles et canettes, sur les 16,6 milliards que nous consommons, ne sont pas recyclées et sont donc pour la plupart brûlées. Alors c’est un très bon combustible mais c’est du gaspillage quand on connaît la demande actuelle pour le PET recyclé ! Et vous le savez, la tendance actuelle n’est pas bonne parce que la vente à emporter se développe. Nous voulons donner les moyens aux collectivités de faire face aux effets néfastes de ces nouveaux modes de consommation hors foyer.D’ailleurs, puisque j’en suis au recyclage — même s’il ne peut pas être une fin en soi — il est une des solutions durant la phase de transition et répond lui aussi à des défis environnementaux majeurs. J’ai donc été assez surprise la semaine dernière dans mes échanges avec les Sénateurs d’entendre que le recyclage des emballages n’était pas une solution écologique.
- Enfin, oui, faire le seul pari du prolongement du système actuel de collecte ne nous permettra pas d’atteindre, sans y dépenser des fortunes exorbitantes et sans attendre des années encore pour éliminer les bouteilles dans la nature et atteindre les exigences fortes de l’Europe : 75 % de bouteilles recyclées d’ici 2025 et 90 % d’ici 2029.
Cette situation ne peut pas nous satisfaire et tous, nous devons chercher à améliorer ce système.
C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers la consigne. Et oui, certains partent en croisade mais pour de mauvaises raisons. Non la consigne ne va pas RELÉGITIMER — et j’avoue que de la part de certains cet argument m’a surpris — la bouteille en plastique. Ça a même été le contraire en Allemagne, la consigne a limité l’augmentation du plastique à usage unique et le taux de réemploi des bouteilles est aujourd’hui beaucoup plus élevé qu’en France.
Je note d’ailleurs que les adversaires de « l’illégitime » bouteille en plastique consignée la trouve extrêmement « légitime » cette même bouteille lorsqu’elle vient garnir une poubelle jaune.
Ce que nous avons cherché à faire, ce n’est pas à inventer l’eau chaude, mais simplement à reproduire, en l’adaptant à notre système, ce qui fonctionne ailleurs.
Et je sais que cela peut être difficile car cela induit des changements de méthodes, d’usages, de façons de penser le service public de gestion des déchets et les filières. Mais les Français nous le demandent !
Sur ce sujet, le gouvernement n’avance pas masqué et bien pour l’intérêt général. Dès le mois de février 2018, à l’occasion de la consultation menée dans le cadre de la feuille de route de l’économie circulaire, j’ai publiquement mis dans le débat la question de la consigne sur les bouteilles en plastique et les canettes en métal. Consigne, pour recyclage ! Dans la feuille de route elle-même, présentée par le Premier ministre en avril 2018, la consigne est mentionnée noir sur blanc.
Et je le redis. Nous ne voulons pas que ce système se mette en place en pénalisant les collectivités. Où serait l’intérêt du gouvernement ? Les soutiens de CITEO aux collectivités ne baisseront pas. Ils seront simplement reventilés différemment entre ce qui demeurera dans le bac jaune. Non pas parce que je le dis, mais parce que c’est la loi ! Elle vous garantit 80 % du coût de traitement net d’un service de tri optimisé. La définition de cette optimisation a été validée à un certain moment par les associations d’élus. Donc la donne ne change pas.
Les investissements des collectivités seront garantis
Le gouvernement a proposé justement au cours du débat au Sénat un ensemble de garanties fondées sur trois principes :
- Premier principe : un dispositif de consigne pour recyclage doit permettre de soutenir et renforcer les initiatives de consignes pour réemploi. Il n’y a pas d’opposition entre les deux systèmes mais bien au contraire de nombreuses synergies. Aucun système de consigne pour recyclage ne pourra être mis en œuvre sans qu’y soit adossé en parallèle un objectif de réemploi pour la filière emballage.
- Deuxième principe : ce dispositif a un impact financier positif — j’ai bien dit positif — pour les collectivités à travers deux leviers :
- La réaffirmation, je le disais, de ce que prévoit la loi Grenelle 1 sur la prise en charge par l’éco-organisme de 80 % des coûts nets optimisés du bac jaune (collecte et tri).
- Les bouteilles collectées par le bac jaune pourront être déconsignées en sortie de centre de tri. Il s’agit de montants très importants, environ 5 fois supérieurs au soutien versé à ce jour par Citeo pour la collecte et le tri de ces mêmes bouteilles. Jacques Vernier estime dans son pré-rapport que cela pourrait représenter un gain financier pour les collectivités compris entre 50 et 124 millions d’euros par an selon les hypothèses retenues sur le montant de la consigne et sur le volume de bouteilles captées par le bac jaune.
- Troisième principe : les collectivités territoriales doivent être associées à la gouvernance du système de consigne mis en place.
- En ayant leur mot à dire sur les conditions et les modalités de leur déploiement, notamment sur l’emplacement des machines afin d’accompagner les politiques de redynamisation territoriales notamment.
- Elles doivent pouvoir également, si elles le souhaitent acquérir des machines et être rémunérées par l’éco-organisme pour le service ainsi rendu.
La concertation continue et le travail aussi. Il y a eu beaucoup de malentendus sur les chiffres, parfois une certaine défiance (et même un zeste de mauvaise foi parfois), mais nous partageons tous le même objectif :
- Protéger le système public de gestion des déchets.
- Sortir du tout plastique pour aller vers une société du réemploi et de la réutilisation mais en s’en donnant vraiment les moyens !
- Permettre aux collectivités de ne pas regarder passer le train du changement de modèle qui se profile : celui de la collecte diffuse.
De nombreux défis sont encore devant nous :
- transformer dans les usages et les comportements, il s’agit d’une bataille culturelle, les français y sont prêts, des entreprises pionnières y sont prêtes également en migrant vers de nouveaux modèles économiques
- des défis technologiques (recyclage chimique, enzymatique, les matériaux du post plastique) ;
- des défis politiques pour mobiliser sur les territoires tous les maillons de la chaîne : la transition n’est pas spontanée, il faut la volonté et l’énergie de quelques pionniers pour animer sur le terrain un projet de territoire autour de l’économie circulaire.
Je veux, pour conclure, vous dire combien je suis convaincue que ce projet politique est exaltant et nous sommes en train d’inventer ensemble la première brique d’un nouveau modèle de société.
Cette société, c’est ensemble que nous la bâtirons.
Je vous remercie.