France Nature Environnement (FNE) participe au Comité de pilotage des Assises des Déchets. Avec un rôle tout particulier : peser en tant que réseau d’associations environnementales sur les réflexions qui seront menées lors des débats… en résonance de l’action de ses militants sur le terrain. Patrick Hervier, membre du Directoire du réseau FNE en charge de la prévention/gestion des déchets, en appelle ainsi à la responsabilité des tous les acteurs.
Dans quel état d’esprit le réseau FNE participe-t-il aux Assises ?
Dans chacun des sujets des Assises, nous considérons que le regard associatif est nécessaire. Le secteur des déchets ne peut fonctionner uniquement entre « pairs ». Au risque de tourner en rond. Il doit donc s’ouvrir à d’autres regards. Et pas seulement pour que cela figure dans un rapport RSE, comme élément de communication, ou comme dernière carte en situation de crise ! Le regard que nous portons est un « poil à gratter » dont le secteur doit s’emparer afin de faire mieux, ou autrement.
Cela nous met, en tant qu’association environnementale, en position de responsabilité. Responsabilité de comprendre, responsabilité d’analyser, de proposer, bref d’alimenter des partenariats évaluables : notre compréhension des enjeux de ce secteur, leur partage au sein de notre mouvement et avec d’autres acteurs, la qualité d’écoute de nos commentaires et leur utilisation… Un esprit de responsabilité auquel nous appelons tous les acteurs, afin de passer de nouveaux caps. On peut notamment espérer que la dynamique « économie circulaire », dont se réclament nombre d’acteurs, rende plus incontournable et inscrite dans la durée, la vigilante présence des associations de protection de l’environnement.
Au-delà de telle ou telle thématique, FNE porte ainsi un regard sur chacun des ateliers…
En effet. Pour l’atelier 1 par exemple, sur la modernisation des centres de tri, nous analysons que pour augmenter les performances de valorisation et apporter une réponse à l’ensemble du gisement d’emballages, il faut que ce maillon de la chaîne tri/valorisation soit un outil industriel davantage connecté avec l’aval, avec les besoins des entreprises de valorisation. Mais il y a des limites : chercher à adapter l’aval, cela a un coût, avec parfois des performances insuffisantes et des impacts environnementaux. Cela met en pleine responsabilité les metteurs en marché. Et il faut s’inquiéter de la possible déconnexion avec les territoires, éloignant les centres de tri du « résultat des gestes de tri ». Des réponses sont à construire : quelles animations pour remplacer les visites en proximité, quels soutiens aux activités implantées dans le bassin de vie des citoyens trieurs, quelle reconversion pour les centres de tri abandonnés ?
Pour l’Atelier 2, sur le high tech, et l’Atelier 3, sur le BTP, FNE affirme une certaine inquiétude ?
En considérant trois « formes de la matière » — les produits, les pièces détachées de ces produits, et les matériaux –, on mesure que le high tech peut apporter un réel appui. Ce qui nous interroge, ce sont les effets de la fragmentation des acteurs/activités qui peuvent nuire à la traçabilité des déchets et créer une dilution de la chaîne de responsabilité. Cette situation n’est pas nouvelle mais elle prend une autre dimension avec l’apparition de questions sanitaires liées à la circularité de matières nocives dans les boucles de l’économie circulaire. La prise en compte de cet aspect rend nécessaire de renforcer et entretenir un climat de confiance.
Du côté de déchets du BTP, nous partageons l’ambition d’en faire une priorité. Nous sommes fatigués des brûlots de fin chantier, des dépôts et autres remblaiements sauvages… Si certaines initiatives, très intéressantes témoignent de la faisabilité des bonnes pratiques, on en reste aux phases d’expérimentation sans essaimage, on parle peu de modularité et de réversibilité de la construction… Les déchets du BTP exigent une approche transversale : que les maîtres d’ouvrage se saisissent de leurs responsabilités en tant que « donneurs d’ordre » en sachant échanger avec les opérateurs des déchets pour construire des dispositifs fonctionnels…
Le nouveau rôle dévolu aux Régions vous intéresse-t-il ?
Avec la loi NOTRe de réforme territoriale, la mise en place des nouveaux plans constitue un défi de taille pour les Régions. À FNE, nous considérons que c’est aussi une opportunité pour traiter de manière plus cohérente les actions de prévention et de gestion à l’échelle des territoires en relation avec les compétences économiques, et donc faire émerger des stratégies globales d’économie circulaire auxquelles le monde associatif doit contribuer. Et nos fédérations ont un rôle clé à jouer dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi de ces plans régionaux à travers une double mission de vigie citoyenne et d’animatrice de l’économie circulaire pour en faciliter sa diffusion. Pour les accompagner, FNE a mis à leur disposition un kit d’outils sur lequel elles peuvent s’appuyer et organise des rencontres sur ce thème tout au long du processus.
Côté CSR et recyclage des plastiques, FNE est en situation d’alerte…
Nous tirons la sonnette d’alarme depuis quelques années : ne recommençons pas avec l’utilisation des CSR ce qui a été raté avec l’incinération : atteinte à l’environnement et à la santé avec des installations inadaptées, gabegie économique avec la concurrence entre les vides de fours, ainsi que des freins à la valorisation matière… tout cela cimentant un climat de défiance mutuelle. Oui il faut des installations de préparation de CSR, mais sans aller contre la valorisation matière. Oui il est pertinent que la valorisation thermique de CSR contribue à la transition énergétique en substitution à des combustibles fossiles, mais en fermant les unités d’incinération obsolètes.
Pour le plastique, attention à la notion de « bénéfices environnementaux ». En fait, l’environnement et donc indirectement notre santé paient ces bénéfices au prix fort. Il faut redonner du sens et de manière concrète à la responsabilité du producteur : les metteurs en marché doivent s’assurer qu’ils ne proposent que des produits recyclables dans de bonnes conditions, techniques, économiques, sanitaires et sociétales. Sans élaborer dans l’urgence d’une crise (toute référence à des faits réels serait purement fortuite !) des mesures tentant de corriger certaines innovations ne répondant pas à la logique d’économie circulaire.
Vous partagez une vision positive des filières REP ?
Les résultats de cette « spécificité française » sont pour nous globalement positifs, avec l’émergence d’une économie du recyclage, même si des ajustements amont/aval des boucles matériaux sont encore nécessaires. Mais il nous parait incontournable que ces dispositifs soutiennent, enfin et réellement, une « économie de la prévention des déchets » pour prolonger par la réparation ou la re-fabrication, la durée de vie des objets, ainsi que le réemploi, via par exemple la consigne.
FNE semble enfin très sensible aux enjeux d’information des citoyens et de pédagogie que portent les ateliers 8 – Pour en finir avec les mauvaises pratiques – et 9, sur les biodéchets…
Nous sommes évidemment en phase avec la problématique de lutte contre les mauvaises pratiques, d’autant que notre ancrage local plaide pour un développement des actions de type « sentinelles de la nature », où dans un esprit de coopération avec les pouvoirs publics, les sentinelles signalent des atteintes à l’environnement et peuvent cibler des messages de prévention. Et il faut sans doute développer d’autres partenariats.
Pour le biodéchets, on a envie de dire : enfin ! Depuis de nombreuses années nous plaidons pour une prise en compte spécifique de ce gisement. Il faut faire de cette ambition de collecte sélective des biodéchets une opportunité. Pour les producteurs, en questionnant la possibilité de réduire ces déchets par exemple en luttant contre le gaspillage alimentaire. Pour les collectivités, et leurs prestataires, en renouvelant les offres de services vers les clients-citoyens et autres producteurs collectés dans le cadre du service public. Sur le terrain, nos fédérations sont sur ce sujet en capacité d’intervenir.