L’atelier 2 des Assises des déchets 2024 a permis de faire un point sur les progrès, les défis et les perspectives d’amélioration de la loi Agec. Des intervenants de différents secteurs ont partagé leurs analyses sur la mise en œuvre de la loi, en insistant sur la nécessité d’améliorer la gouvernance et de renforcer les mécanismes incitatifs.
Pour cet atelier sur la loi Agec, adoptée en 2020, nous avons eu l’honneur de pouvoir compter sur la présence de la députée Véronique Riotton, experte du thème. Elle a en effet été rapporteure de la loi au Parlement, mais également rapporteure de la récente mission d’évaluation de son impact.
“Grâce à un diagnostic partagé, la loi Agec a fait bouger des lignes et a permis des changements significatifs dans plusieurs secteurs, notamment dans le bâtiment. Mais les résultats ne sont pas satisfaisants globalement, car les objectifs n’ont pas été atteints pour de nombreuses raisons“, estime-t-elle, tout en notant que les progrès en aval (recyclage, tri) ont été plus marqués que ceux en amont, tels que l’écoconception et l’allongement de la durée de vie des produits.
Véronique Riotton souligne la nécessité de créer une instance de régulation pour garantir une meilleure efficacité et une vraie coordination entre les parties prenantes. “Nous devons aller plus loin pour contraindre les acteurs à adopter des pratiques plus vertueuses. L’économie circulaire n’est pas encore suffisamment reconnue comme un business modèle pérenne“, affirme-t-elle.
Cahiers des charges, gouvernance, arbitrage : mieux prendre en compte les réalités du terrain
René-Louis Perrier, président de l’éco-organisme Écologic, a exprimé son soutien à la loi Agec, qu’il considère comme un outil essentiel pour la transition vers une économie circulaire. Il rappelle que la France est devenue “championne du monde des filières REP”, qui responsabilisent les producteurs et les incitent à l’écoconception.
Toutefois, il pointe du doigt trois problèmes majeurs :
- Des objectifs “trop politiques et pas assez techniques”, fixés par des cahiers des charges qui sont transmis aux éco-organismes seulement trois mois avant la mise en place. “Il est essentiel de pouvoir calculer plus précisément les bénéfices, et pour cela nous avons besoin de temps. Il s’agit de dispositifs radicalement nouveaux, impliquant la répartition de plusieurs centaines de millions d’euros, et en se précipitant il y a un risque de gaspillage. L’impact environnemental n’est pas toujours avéré, et il faudrait pouvoir régulièrement réévaluer les objectifs.”
- Une gouvernance à redéfinir : “Il nous faut des lignes directrices pour toutes nos interactions avec les interlocuteurs. Nous sommes chargés de définir des stratégies et d’orienter les flux financiers, alors que notre légitimité n’est pas aussi évidente que les acteurs du terrain. Il faut donc améliorer la gouvernance et mettre en place un cadre de discussion stratégique avec les opérateurs, les acteurs de l’économie circulaire et les collectivités.”
- Une régulation à améliorer : “Les dispositifs REP financent des structures privées, donc la concurrence est inévitable. Il faut que l’État mette en place un cadre pour réguler cette concurrence : nous avons besoin d’un arbitrage pour améliorer les relations entre acteurs.”
Des ambitions élevées, mais difficiles à atteindre
Le point de vue des éco-organismes était aussi représenté par Jean Hornain, directeur général de Citeo. Celui-ci se montre également optimiste : “Je suis très fier de mon pays, car la France porte une ambition au niveau européen, et même au niveau mondial. Je suis profondément convaincu que ce système est efficace, mais il n’est bien entendu pas magique et ne peut pas tout faire.”
Jean Hornain souligne les investissements significatifs réalisés pour soutenir la collecte et le tri des déchets, ainsi que le développement d’infrastructures avec des investissements dans quatre centres de tri et la mise en place d’une filière de recyclage des pots de yaourts. Il annonce aussi que des accords ont été conclus avec plus de 1 000 collectivités, représentant 30% de la population française.
Cependant, il reconnaît que la route est encore longue. “La pente est raide, et on n’y est pas aujourd’hui,“ admet-il. “Il nous faut parvenir à une meilleure efficacité dans l’utilisation des moyens mis en place. Il est crucial de revoir les bases de la responsabilité entre les différents acteurs et d’optimiser les mécanismes incitatifs, comme la tarification ou les consignes, pour encourager les citoyens à adopter des comportements plus durables. Il y a un sujet d’efficience à traiter.”
Une efficacité à améliorer
L’efficacité des dispositifs REP est effectivement questionnée par Antoine Bousseau, président de la Fnade (Fédération nationale des activités de la dépollution et de l’environnement). “Les dispositifs REP sont d’une complexité folle et très coûteux. Ils représentent déjà 2 milliards d’euros et pourraient augmenter rapidement à 7 milliards d’euros, soit 100€ par Français ; c’est presque une nouvelle TVA !“, s’exclame-t-il.
Il reconnaît cependant que des progrès notables ont été réalisés. “La ministre a dit en introduction qu’en 2023 nous étions à 30% de réduction de la mise en décharge par rapport à 2010. Je vous annonce un scoop : nous serons à -50% dès 2025, alors que nos projections étaient moins optimistes. L’accélération est extrêmement rapide et nous assistons à un changement très puissant, bien que le système ne soit pas encore assez vertueux.”
Selon Antoine Bousseau, les REP ont en effet été efficaces sur l’objectif de massification et pour monter des filières de réemploi et de recyclage, mais n’ont pas été à la hauteur sur l’amont : tri à la source, sensibilisation, éco-conception… Il annonce avoir de ce fait demandé une commission d’évaluation des REP et insiste également sur la nécessité de renforcer la gouvernance, afin que chaque acteur prenne pleinement ses responsabilités.
“Nous ne pouvons pas continuer comme ça, ce serait un gâchis énorme de ne pas utiliser les conclusions du rapport d’évaluation. En ce qui nous concerne, nous souhaitons être écoutés en tant que sachants et experts des métiers du recyclage : nous avons par exemple alerté sur le problème du recyclage des pots de yaourts il y a déjà 10 ans !”
Des frustrations malgré les progrès
Johann Leconte, pilote du réseau prévention et gestion des déchets à France Nature Environnement (FNE), commence par souligner les “progrès indiscutables” apportés par la loi Agec. Il exprime cependant une certaine “frustration” concernant la mise en place opérationnelle : “Beaucoup d’entreprises ont pris le virage, mais il y a eu beaucoup de lobbying pour rogner les ailes de cette loi et les exemptions sont trop nombreuses, notamment pour les emballages de fruits et légumes. Il faudrait aussi plus de contrôles, en particulier de l’État“, regrette-t-il.
Johann Leconte met aussi en avant les difficultés liées à la compréhension des consignes de tri, qualifiant la situation de “désastreuse“. “Nous n’avons pourtant pas à rougir de ce que nous avons fait en France par rapport à nos voisins européens, y compris ceux du Nord de l’Europe comme la Suède, le Danemark, l’Allemagne ou la Belgique. Une uniformisation des consignes au niveau européen est indispensable pour rendre le tri plus efficace.”
Il rappelle enfin que FNE a soutenu la création des REP dès le début des années quatre-vingt-dix et qu’il estime le modèle pertinent, mais pas assez efficace. Il formule des propositions pour l’améliorer :
- Accorder un statut spécifique aux éco-organismes : “Ils ne devraient pas être des entreprises comme les autres. La relation entre partenaires doit rester très coopérative, et non s’apparenter à une relation entre un client et un fournisseur.”
- Renforcer la cotisation bonus/malus : “Elle n’est pas suffisamment discriminante ni connue pour avoir un vrai impact sur le choix du consommateur.”
- Responsabiliser davantage les producteurs : “Ils doivent avoir une responsabilité totale et entière sur les produits jusqu’à leur fin de vie, et ce n’est pas encore le cas pour toutes les filières.”
- Améliorer le fonctionnement du fonds réparation : “Il est nécessaire de repenser ce dispositif. Il faut simplifier son fonctionnement, actuellement trop compliqué pour les petits réparateurs, améliorer l’accès pour le grand public et lancer un vrai plan de développement du métier de la réparation : il compte aujourd’hui 3 000 professionnels alors qu’il y en avait peut-être dix fois plus il y a 30 ans.”