Atelier 2 : accélérer le développement des CSR

Quatre témoignages font état des expériences et du véritable intérêt que présentent des solutions locales et territoriales de valorisation énergétique des déchets non recyclables et présentant cependant encore une fraction organique ou un pouvoir calorifique exploitables.

Les intervenants

Benjamin Denis

Benjamin DENIS, responsable des relations institutionnelles du groupe familial Séché Environnement né en Mayenne en 1985

Erik Mouillé

Erik MOUILLÉ, dirigeant de l’entreprise NAODEN, créée en 2015

OLIVIER Muriel

Muriel OLIVIER, Déléguée générale, FNADE, organisation professionnelle représentative des industriels de l’environnement composé de 8 syndicats professionnels

Clotilde Villermaux

Clotilde VILLERMAUX, chef de projet pyrogazéification, GRTgaz, opérateur de réseaux transport de gaz à haute pression

Dans un contexte où au-delà des objectifs définis en 2015, certaines expériences de grands projets ont montré assez vite leur limite, ou d’autres freins comme la réglementation ICPE ou la typologie des combustibles, les solutions de taille moyenne et locales semblent plus adéquates. C’est d’autant plus vrai que le prix de l’énergie comme la recherche de tout ce qui peut contribuer à une certaine indépendance énergétique a profondément changé en 2022 dans un sens qui ne devrait que favoriser la déclinaison plus rapide et plus intense des solutions proposées ici.  Le comité stratégique de la filière valorisation et gestion des déchets estime par exemple que l’ensemble de la filière énergie déchets pourrait permettre à horizon 2025, si elle se développait selon les objectifs qui ont été fixés, de se substituer à un tiers des approvisionnements qui sont aujourd’hui réalisés par du gaz russe. Il y a donc urgence à faire et étendre de telles réalisations.

Les CSR, nous aurions dû et nous devons aller plus vite, plus fort !

Actuellement en France, 400 000 tonnes de CSR ont été valorisés en 2020-2021 dont environ 60 à 70 000 tonnes dans des installations dédiées (celle de Séché à Laval et celle du papetier Blue Pepper à Strasbourg) et 300 000 tonnes sont valorisées par l’industrie cimentière. L’objectif fixé pour 2025 est de consommer 2,5 millions de tonnes de déchets, réparti entre l’industrie cimentière pour 1 million de tonnes et pour 1,5 millions de tonnes dans des installations dédiées, des chaudières qui vont soit alimenter des réseaux de chaleur urbain soit alimenter des industriels pour répondre à leurs besoins énergétiques. Ces objectifs sont déclinés localement dans les plans de prévention et gestion des déchets, élaborés par les conseils régionaux avec l’ensemble des parties prenantes. Si l’objectif fixé pour 2025 est de valoriser 80 000 tonnes supplémentaires de CSR en installations dédiées alors 3 à 7 nouvelles installations devraient être mises en œuvre sur le territoire. En région Pays de la Loire, l’objectif est de valoriser de 230 à 240 000 tonnes de CSR. Ces projets intéressent les collectivités locales parce que cela leur permet de valoriser des déchets qui aujourd’hui vont directement en enfouissement avec des coûts qui augmentent du fait de la hausse de la TGAP. De plus, une étude menée en partenariat avec la FNADE et l’ADEME montre que les émissions sont deux fois moins importantes que celles du gaz naturel et participe ainsi à la décarbonation des territoires. Pour rappel, la réglementation CSR mise en place en 2016 oblige cependant au respect strict de la hiérarchie des déchets et donc l’utilisation exclusive des refus de tri ainsi qu’à la bonne utilisation de la chaleur produite.

Le risque sur investissement explique en partie le retard de cette filière. Une installation nécessite de trouver un débouché constant « car une installation CSR ne s’arrête pas ». Il faut donc trouver tant l’investisseur dans cette énergie, que l’acheteur (qui achète aujourd’hui de l’énergie fossile sur des durées de contrat de 2 ou 3 ans) prêts à s’investir pour une énergie bas carbone, sur le long terme, 15 à 20 ans. Les organismes financiers sont réticents face à de telles échéances : « si l’acheteur rencontre des difficultés ou cesse son activité, l’investisseur perd ses revenus ». Au niveau européen, le texte « la finance verte durable » fixe une liste d’activités considérées comme vertes et vers lesquelles les fonds financiers doivent être prioritairement orientés. Aujourd’hui la valorisation des CSR ne fait pas partie de ces activités et cela freine donc encore les investisseurs.

Une première étude réalisée à la FNADE avec le SN2E, des bureaux d’études et avec le soutien de l’ADEME en 2015, et donc dans le contexte d’un prix de l’énergie totalement différent du contexte actuel, prenait déjà en compte deux impératifs :  produire de la chaleur à un prix compétitif par rapport au prix de gestion des déchets en amont et, en aval, produire de la chaleur compétitive par rapport à la chaleur produite à partir de gaz voir à partir de charbon. De cette étude, il a été déduit le prix que le producteur de ces déchets non recyclables était capable de payer au producteur d’énergie à partir des CSR pour contribuer au prix de la valorisation de ses déchets et les soutiens aux investissements nécessaires pour faire émerger cette filière dans ce contexte économique. Cette étude a été nécessairement mise à jour en 2020 pour s’adapter au contexte économique. En 2015, le prix de la chaleur produite à partir de gaz était de 30€ le MGWH ; en 2020 il était diminué entre 17 et 20€ le MGWH. Aujourd’hui le contexte et la tension énergétique rebattent totalement les cartes et l’on ne peut s’arrêter aux déficits conjoncturels et temporaires de compétitivité en ce qui concerne la chaleur produite avec le CSR. Des leviers économiques ont été proposés pour sortir de ces aléas tels que :

  • La cogénération : produire de la chaleur et de l’électricité ce qui sécuriserait l’investissement puisqu’en cas de difficulté de l’acheteur-utilisateur final de chaleur, l’électricité pourrait être mise sur le réseau.
  • La création d’un dispositif assurantiel qui permettrait à l’industriel de remettre en service sa chaudière à gaz en cas d’augmentation du prix de l’énergie produite à partir de CSR.
  • La location de quotas gratuits de CO2 sur ces nouvelles filières CSR.
  • Une TGAP réduite sur les refus de préparation de CSR pour diminuer la charge sur la production de ce CSR.
  • L’ouverture au dispositif des certificats d’économie d’énergie pour la filière CSR, ce qui a d’ailleurs été mis en place depuis 2020.

2017, la première unité de valorisation CSR à partir de refus de tri valorisable au service de l’économie territoriale

Le groupe Séché a inauguré en 2017, la première installation de valorisation de CSR sur le territoire national, à Changé, près de Laval en Mayenne (53) avec une unité de préparation des CSR de proximité. En hiver elle produit de la chaleur pour le réseau urbain de la ville de Laval, et l’été elle produit de la chaleur pour une coopérative agricole. Les CSR sont des combustibles préparés à partir de déchets non dangereux et non recyclables issus des refus de la collecte sélective (poubelle jaune) et des déchets des mobiliers usagers qui sont collectés dans les déchetteries. Cette installation a pu être inaugurée dans un contexte très favorable, avec un partenariat public/privé, qui a émergé parce que tous les acteurs du territoire étaient alignés sur la volonté de développer cette solution.

Cette énergie locale participe à la souveraineté énergétique de la France puisqu’elle est bas carbone et participe à l’objectif de baisse de l’élimination des déchets par enfouissement. L’investissement n’est pas neutre pour cette installation, 22 millions d’euros avec 6 millions d’aide de l’Ademe.

Le groupe Séché produit également de l’énergie en expérimentant et développant toutes les énergies techniquement exploitables à partir des différentes activités autour du déchet.

En Pays de la Loire, l’essor des projets et réalisations de pyrogazéification à l’échelle locale

En région Pays de la Loire, l’entreprise Naoden produit de l’énergie à partir de déchets CSR locaux comme le bois de classe A et B, les papiers et cartons collectés, les branchages, les noyaux et coques de fruits … grâce à la pyrogazéification. Ce procédé transforme la matière solide -le déchet-, directement en gaz de synthèse appelé « syngaz », qui peut être valorisé soit dans un moteur pour produire de l’électricité ou de la chaleur ou encore sur des process industriels dans des brûleurs, en flamme directe, en substitution ou en co-combustion avec un combustible fossile (gaz naturel, propane). Ce procédé n’est pas concurrentiel à des chaufferies ou chaudières traditionnelles à eau chaude, il s’adresse plutôt à des process ayant recours à de la flamme ou cherchant des petits modules de cogénération. Depuis 2015, un parc d’une puissance équivalente à 3MW a été installé, soit déjà une dizaine de modules. Les premiers modules installés ont été des pilotes servant de démonstrateurs, l’un sur le site des Côteaux Nantais au sud de Nantes et un second sur le site de Kerval Centre Armor à St Brieuc. Une première réalisation à caractère industriel a été installée récemment avec quatre modules de production de gaz de synthèse directement valorisé dans les fours de la société Bouyer-Leroux qui fabrique des briques de construction et qui est gros consommateur de gaz et d’énergie fossile.

Alors que les chaufferies CSR concernent plutôt les cimenteries, les papetiers, l’agroalimentaire ou la chimie, la pyrogazéification concerne des petites structures et ciblent notamment des producteurs de déchets qui ont une capacité à préparer et à transformer leurs déchets. Au lieu de payer pour faire traiter et évacuer leurs déchets, ils ont l’opportunité de les valoriser sur leur site. Ces solutions favorisent l’acceptation du public en ce qu’elles sont petites et relativement discrètes. Elles peuvent être mises en parallèle sur un collecteur gaz pour s’adapter aux besoins de chaque site-client et ne nécessitent que peu d’ingénierie d’intégration. Elles sont modulables selon les besoins du client et elles peuvent être retirées facilement ce qui rend la prise de risque faible. Concrètement, les combustibles sont testés au préalable sur le site de St Brieux afin de voir leur comportement en gazéification dans le réacteur. Une fois que l’on a trouvé la bonne recette, les bons réglages, des organismes indépendants mesurent les émissions atmosphériques et quantifient les polluants et rejets atmosphériques. Puis interviennent les aspects administratifs et l’instruction d’un dossier pour modifier, adapter ou porter à connaissance l’évolution potentielle du site et son classement ICPE.

Les réseaux de gaz nationaux sont ouverts aux approvisionnements locaux, les expérimentations se sont montrées satisfaisantes.

La société GRTgaz possède un réseau de transport de gaz de 33 000 km, maillé sur tout le territoire. Sa perspective est d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 pour tout le gaz qu’il transporte. A ce titre, elle soutient toutes les filières de gaz renouvelables et bas carbone qui ont un potentiel réel pour répondre aux enjeux de souveraineté énergétique nationale. Il nous semble important que nous puissions stocker et injecter dans notre réseau existant les gaz renouvelables, d’ajouter et amplifier la production de gaz renouvelables, de promouvoir le dynamisme des territoires. Cela se pratique déjà avec la méthanisation à base de matières fermentescibles humides et la fabrication de biométhane injecté dans nos réseaux. La pyrogazéification pour injection, à base de résidu de biomasse ou de déchets solides secs (résidus de forêt, bois d’ameublement et CSR), est une ressource supplémentaire de production de gaz. L’objectif est d’obtenir un gaz de qualité équivalente au gaz naturel. L’avantage de GRTgaz est qu’elle dispose déjà des infrastructures nécessaires et qu’elle peut fournir tous les atouts associés à son réseau, c’est à dire le stockage et l’acheminement et être complémentaire aux filières d’énergies renouvelables intermittentes et non stockables.

Le gisement de CSR est très important avec, pour certains CSR, un potentiel énergétique compatible avec nos besoins pour pouvoir produire du méthane donc du gaz injectable avec des capacités calorifiques intéressantes pour être interchangeable avec du gaz naturel fossile.

GRTgaz anime un groupe de travail au club pyrogazéification qui a pour vocation d’échanger des données techniques associées à des progrès, des tests et des partenariats. Il existe déjà des pilotes en France à taille semi-industrielle qui permettent de tester ces différents types d’intrants biomasse mais également CSR tels les projets Titan 5 à Nantes, Plaine-énergie ou Gaya qui est le projet pilote semi-industriel de Engie et qui a démontré la faisabilité de la technologie de pyrogazéification sur toute la chaîne de production depuis les intrants jusqu’à la purification, la méthanation et la qualité du gaz qui le rend compatible avec nos réseaux.

Les deux modèles de développement pour la filière CSR, chaudière ou pyrogazéification, répondent à des besoins différents des industriels ou des territoires et en ce sens, ils sont complémentaires. L’un répond aux industriels ou collectivités qui ont besoin de beaucoup de chaleur et correspond au modèle de chaufferie CSR, surtout si les besoins sont organisés pour un fonctionnement continu tout au long de l’année, l’autre répond à des besoins plus réduits. Rappelons que les installations CSR sont des installations éprouvées, qui fonctionnent et que chez nos voisins, déjà 8 millions de tonnes de CSR sont utilisés chaque année pour produire de l’énergie en Allemagne.