Les REP et les collectivités : entre découragement et incrédulité

Du point de vue des collectivités, les perspectives d’évolution des REP sont-elles forcément positives ? Elles qui alimentent cette pratique ancienne de l’économie circulaire, elles qui ont largement apprécié la mise en place des filières REP… peuvent désormais être « entre découragement et incrédulité » face à la controverse sur la consigne, face à la réglementation intrusive et au bousculement de la gouvernance, voire face au risque d’uberisation de la gestion des déchets. C’est ce que souligne Sylviane Oberlé, chargée de mission de l’Association des Maires de France.

Les collectivités recyclent depuis longtemps le papier, le verre, les métaux et les textiles. Autrefois, seules les recettes issues de la vente des matériaux couvraient le coût de la collecte et de la préparation d’un gisement par nature fragmenté entre les ménages et souvent souillé. Le recyclage était donc réservé aux produits à haute valeur marchande et les méthodes de collecte devaient être les moins onéreuses possibles, ce qui pouvait nuire à leur efficacité.

Un dispositif précieux pour les collectivités

En apportant un financement pour la valorisation des déchets issus de la consommation de leurs produits, les entreprises qui les mettent sur le marché ont rendu ces activités solvables, à défaut d’être rentables. De plus, en sécurisant les débouchés (y compris en créant une industrie du recyclage des plastiques), les REP permettent aux collectivités d’établir des plans d’action et de développement à moyen et long terme ; l’assurance de trouver preneur pour les lots de déchets triés incite les collectivités à investir dans l’amélioration de la qualité des déchets produits.

Une gestion radicalement modifiée à cause des REP

Les REP ont modifié en profondeur les pratiques des collectivités : elles passent d’un service de salubrité à un service de production de matériaux. Alors que la collecte impose de massifier le plus rapidement un gisement fragmenté, la collecte sélective isole des flux. Les agents des services techniques, qui disposaient d’une solide connaissance de la logistique, ont dû y ajouter des compétences sur les caractéristiques des matériaux à recycler et les modalités techniques nécessaires pour arriver aux standards demandés. Enfin, le service de gestion des déchets est sorti de l’ombre et de l’ignorance pour devenir un sujet de sensibilisation, d’information, de concertation avec les habitants. De ce fait, la gestion des déchets est devenue un véritable enjeu de politique locale.

Une réglementation de plus en plus intrusive et une gouvernance confuse

Un éco-organisme est une organisation collective mise en place par les metteurs sur le marché sur lesquels pèse la REP. Les contributions versées à l’éco-organisme permettent au metteur en marché de se libérer de ses obligations légales. Compte tenu de ce caractère libératoire, il est normal que l’État délivre un agrément à l’éco-organisme et en contrôle la mise en œuvre ; il veille à ce que les sommes collectées soient bien utilisées pour des actions correspondant aux objectifs définis dans l’agrément. Or, depuis une dizaine d’années, les parties prenantes des filières REP ont pris la fâcheuse habitude de demander à l’État d’arbitrer leurs conflits. De ce fait, les textes réglementaires sont devenus de plus en plus intrusifs dans le fonctionnement, de plus en plus tatillons, de plus en plus longs, complexes et illisibles. L’État, englué dans ces demandes d’arbitrage, n’a plus le temps de contrôler le respect des obligations de chacun, rôle qu’il est pourtant le seul à pouvoir tenir. La confusion dans les responsabilités engendre une gouvernance désordonnée et conduit chacun à s’occuper de tous les sujets, ajoutant encore de la confusion. En rappelant les responsabilités et les périmètres d’action de chacun, la gouvernance serait plus claire et il ne serait plus nécessaire d’élaborer des textes réglementaires aussi complexes.

La consigne, une autre forme de REP

Le débat sur la consigne n’est pas dans le bon calendrier. La question de la consigne aurait pu se poser il y a 5 ans, avant que les collectivités investissement massivement dans des centres de tri destinés à accueillir les nouveaux emballages plastiques. Elle pourrait se poser dans 5 ou 6 ans quand les effets de l’extension des consignes de tri auront produit une augmentation significative des performances et qu’il sera temps de s’interroger sur la nécessité ou non de compléter le dispositif de collecte sélective par un autre dispositif. Actuellement, discuter de la consigne revient à arrêter un train qui accélère pour prendre un autobus qui n’a pas obligatoirement la même destination.

Le débat sur la consigne repose également sur des postulats incomplets ou mensongers. Les citoyens pensent à la consigne pour réutilisation, alors qu’il s’agit d’une consigne pour recyclage. Certains parlent d’une complémentarité entre consigne et collecte sélective, alors que les deux dispositifs ne sont pas complémentaires, mais opposés. D’autres estiment que c’est le seul moyen de limiter les plastiques abandonnés, alors qu’une consigne sans dispositif de déconsignation laissera autant de plastiques abandonnés. Or, le réseau de déconsignation doit être entièrement créé alors que le réseau de collecte sélective existe déjà. Enfin, il est affirmé aux collectivités qu’elles n’auront aucune perte financière car les emballages restant dans la collecte sélective payeront le surcoût, alors qu’il s’agit de biens de faibles prix, d’emballages difficiles à trier et de déchets triés sans valeur sur le marché du recyclage. L’addition de pertes n’a jamais fait un profit et la démutualisation que constitue le retrait des bouteilles en plastiques conduit à un renchérissement du coût du tri des autres emballages.

Et maintenant…

Certains s’interrogent sur les motivations des collectivités à conserver la collecte sélective et le tri des déchets des ménages, parfois en faisant ressortir toutes les contraintes et les difficultés que cela représente pour les collectivités. Or, la collecte des déchets est un sujet de politique locale : il touche à la vie quotidienne, à la salubrité, au développement local et au vivre ensemble. Il n’est pas dans la nature des collectivités de renoncer à faire de la politique locale. C’est pourquoi elles continueront à développer l’économie circulaire, même si les metteurs en marché veulent se passer d’elles.

Il est tout à fait possible de mettre en place une REP sans les collectivités, mais c’est un modèle totalement nouveau et il serait judicieux d’en peser toutes les conséquences. Par exemple, les collectivités disposent d’une exclusivité sur les déchets des ménages car ces derniers ont l’obligation de leur remettre leurs déchets. Sans le service public, cette exclusivité tombe. Qu’arrivera-t-il quand n’importe quel opérateur pourra acheter les déchets directement aux ménages pour les revendre aux metteurs en marché ? Saurons-nous gérer l’uberisation de la gestion des déchets ?

 

Association des Maires de France

Créée en 1907, reconnue d’utilité publique dès 1933, l’AMF est aux côtés des maires et des présidents d’intercommunalité, dans le respect des valeurs et des principes qui ont prévalu depuis sa création : défense des libertés locales, appui concret et permanent aux élus dans la gestion au quotidien, partenariat loyal mais exigeant avec l’Etat pour toujours mieux préserver les intérêts des collectivités et de leurs groupements. Près de 35 000 maires et présidents d’EPCI en sont aujourd’hui adhérents.

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